Vous êtes-vous déjà interrogés sur ce qui pourrait advenir de vos restes virtuels à votre mort ? Pour sa quatorzième édition, le Mois de la photo à Montréal se penchait sur cette épineuse question avec After Faceb00k : à la douce mémoire <3, qui sera exposée au Musée McCord jusqu’au 10 janvier. L’exposition retrace les principaux enjeux sociaux et politiques du partage extensif d’images personnelles sur les réseaux sociaux, questionnant le rôle de la photographie dans le rapport inédit que notre société entretient à l’image.
Pour Roland Barthes, l’image photographique correspond à la transmission de ce qui a été, la preuve intangible de la réalité d’un moment passé. Mais qu’advient-il lorsque l’image devient éternelle et survit à son référent dans la sphère publique ? Cette hypothèse est mise en perspective par l’exposition, à travers la présentation de plusieurs clichés tirés du fameux réseau social. L’exposition se présente sous la forme d’une installation numérique, immergeant le visiteur dans les dédales de milliers de pages Facebook commémoratives. Dans une salle plongée dans la pénombre se dressent neuf projecteurs aux allures de stèles, diffusant au plafond un nombre infini de captures d’écrans. L’exposition se découvre allongé sur le sol, proposant au visiteur un face à face troublant avec le deuil de milliers d’inconnus.
Le tour de force d’After Facebook : à la douce mémoire <3 tient à la réussite de sa mise en scène. Au-delà d’un catalogue d’images funéraires, l’installation adopte un parti pris artistique permettant un véritable questionnement sur la valeur de l’image et sa portée. Le paysage sonore et le jeu sur la vitesse de diffusion des images offrent un regard inédit sur une thématique importante : celle de la pérennité des informations mises en ligne et partagées par les utilisateurs des réseaux sociaux. Leur fonctionnement nous pousse en effet à façonner une image de nous-même avec l’acharnement de metteurs en scène, et la possibilité de survie de cette création est vertigineuse. La mise en valeur de ces milliers de photographies intimes, parfois extrêmement violentes, provoque autant qu’elle émeut, poussant le visiteur à la réflexion. Du côté des réactions, beaucoup témoignent dans le livre d’or de leur intérêt et de leur émotion face à une installation « troublante » et « perturbante ».
En effet, si l’exposition peut se révéler dérangeante, c’est qu’elle touche à un phénomène de société majeur : l’avènement de l’ère “post-photographique“, caractérisée par la surabondance d’images et l’explosion de leur circulation. Elle explore à travers le prisme du deuil les implications de cette nouvelle culture visuelle, changeant notre rapport à l’image et à la notion de privé. Comme une réflexion anthropologique, qui s’interroge sur les conséquences du rôle croissant que les réseaux sociaux occupent dans nos existences individuelles. Avec trente millions de comptes appartenant à des personnes décédées, Facebook a redéfini notre rapport à la mort : selfies, montages et autres statuts funèbres sont devenus des moyens de commémoration et de communication post-mortem. L’installation du musée McCord analyse de manière édifiante cette nouvelle gestion du deuil où des méga-serveurs, à défaut de nous promettre l’immortalité, facilitent celle de nos données.
« L’être humain a toujours cherché à s’incarner dans des lieux où son corps ne peut plus être, c’est-à-dire en effigie. De nos jours, cela ne se fait plus avec des masques mortuaires ou des sculptures funéraires, mais en publiant des photos sur un mur Facebook », sous-titre l’exposition. After Facebook : à la douce mémoire <3 questionne et bouleverse, révélant avec subtilité l’étrange poésie de ces élégies virtuelles.