La semaine dernière, au Théâtre d’Aujourd’hui, la compagnie Le Crachoir mettait en scène Papiers mâchés, la dernière production de David Paquet. La toute première pièce de ce dramaturge, Porc-épic, lui avait valu en 2010 le prestigieux prix littéraire du Gouverneur Général du Canada ainsi que le prix Michel Tremblay. Une telle présentation place décidément la barre haute, ce qui, en dépit de la modestie affectée de l’artiste sur scène, ne manque pas de créer quelques attentes chez le spectateur.
Ce dernier sera peut-être surpris de découvrir, dans une entrevue parue le 10 novembre sur le site d’Artichautmag, que cette performance dramatique est née de la volonté de croiser le monde du théâtre – que certains voient comme étant « endormant » – à celui de l’humour, auquel l’on reproche parfois d’être « vide ». C’est une façon comme une autre de remettre au goût du jour les préceptes d’Horace, auxquels Boileau a donné une si longue postérité que l’on retrouve aujourd’hui encore communément : l’idée selon laquelle les productions pour enfants doivent « instruire, émouvoir et plaire » à un public avide de divertissement.
Or, si l’intention de départ n’a rien de très original, le résultat n’a assurément rien en commun avec les règles du théâtre classique, voire même du théâtre tout court. Face à Papiers mâchés, on a un peu l’impression d’être confronté à la récitation d’un recueil de poèmes où la mélancolie du XIXe siècle aurait cédé la place à une bonne vieille dépression. Le tout entrecoupé de sketchs plus ou moins réussis visant à rassurer le public – au cas où celui-ci se demanderait si l’auteur n’est pas en train de se prendre un peu trop au sérieux.
L’avantage, lorsqu’on lit un poème, c’est que nous pouvons moduler sa vitesse de lecture selon notre intérêt. Et puis, il faut parfois un état d’esprit particulier pour apprécier ce type d’écriture, surtout lorsqu’elle ne se donne pas d’abord pour mandat d’être agréable. Sur scène, si la performance est aussi « tyrannique » que David Paquet le prétend, c’est en partie parce que l’interprète ne dispose pas de ces deux atouts essentiels. Cela rend la récitation d’un texte poétique d’autant plus difficile que cette mise à l’oral dénude les vers. Aussi, pour réussir, une telle performance doit reposer sur un texte impeccable.
« Raisonne-t-on pour savoir si le ragoût est bon ou s’il est mauvais ? », demandait l’abbé Du Bos dans ses Réflexions critiques sur la poésie et sur la peinture qui firent de lui le père du relativisme moderne. Voilà une position que la critique a souvent tendance à privilégier dans un milieu artistique où tout le monde se connaît, ce qui incite sans doute les journalistes à… mâcher leurs mots.
À cela, je répondrais que si la critique n’est pas faite pour détruire une œuvre dont la préparation requiert assurément toujours beaucoup d’efforts, son rôle n’est pas non plus de combler le besoin de validation de l’artiste, qui est souvent immense – comme l’a répété avec beaucoup d’emphase le créateur de ce spectacle.
Il y a certainement des spectateurs qui ont apprécié cette performance, comme semblent d’ailleurs le confirmer les rires qui accueillaient certaines de ses blagues. Pour ma part, il me paraît curieux, qu’en dépit du désir réitéré de placer le public au cœur de la performance – en l’interpelant, et en demandant par exemple combien de gens connaissent Buzz Aldrin et Neil Armstrong –, j’en sois venue à me demander quel était précisément le public auquel s’adressait ce spectacle. Cherchait-il à rejoindre les gens qui sont peu habitués à lire de la poésie contemporaine, ou bien à attirer les lecteurs qui apprécient déjà ce genre ? Ne risquait-il pas inévitablement de décevoir les attentes des uns comme des autres en tentant de répondre aux exigences de tout le monde ?