Paris, Beyrouth, Bagdad… La litanie des villes martyres s’allonge, et on sait malheureusement qu’elle n’est pas terminée. Les tueurs qui brandissent l’étendard d’un Islam obscurantiste n’auront de cesse de détruire ce qui s’oppose à eux : l’humanité, la culture, un absolu qui élève les êtres et ne leur demande pas de se faire exploser.
Pétris de certitudes macabres, ils nous abhorrent. Nous, et notre liberté de croire en l’Homme, en un Dieu, et même en rien. Ils méprisent nos doutes et nos questions, soyons en fiers. Comme disait le Cyrano d’Edmond Rostand, « on n’abdique pas l’honneur d’être une cible ».
Le choc des systèmes de valeurs, donc, est évident — si toutefois le néant que l’État islamique (ÉI) propage peut se targuer d’avoir un lien quelconque avec un système de valeurs. Cependant il n’explique pas à lui seul les motivations des djihadistes, et ne peut nous faire comprendre pleinement les nouveaux ressorts de leur action.
Des motivations stratégiques évidentes
Les actes terroristes commis par l’ÉI sont les possibles manifestations d’un changement de stratégie. Après s’être concentré sur l’expansion territoriale depuis l’auto-proclamation de son Califat en juin 2014, l’ÉI se projette maintenant à l’extérieur du territoire qu’il contrôle. Le but premier de ces actions semble être de signaler à leurs adversaires leur détermination à ne pas se laisser attaquer sans riposter. En effet, les attentats des deux dernières semaines revendiqués par les djihadistes ont frappé des puissances leur ayant concrètement signifié leur hostilité : la France soutient les frappes aériennes américaines (bien que pour l’instant elle ne soit directement responsable que de 4% des frappes en Irak); le Hezbollah libanais, défini par l’ÉI comme « le parti chiite de Satan », soutient le président syrien Bachar el-Assad, tout comme la Russie. Ce n’est donc pas un hasard si les djihadistes ont frappé, en l’espace de deux semaines, un avion russe, un quartier chiite de Beyrouth et Paris. Dans le cas de la France, il se peut que les attentats de l’ÉI aient également été motivés par l’opération Barkhane au Sahel, comme l’avance la journaliste Anne Bauer dans Les Échos.
Les attentats, un dernier recours ?
Le professeur à l’Institut Universitaire Européen de Florence, Olivier Roy, considère que ces attentats sont aussi le résultat de l’affaiblissement de l’ÉI. Il explique dans le New York Times que le système sur lequel l’ÉI repose a atteint ses limites. « Il était fondé sur deux éléments : une expansion territoriale fulgurante et un effet de terreur qui visait à sidérer l’ennemi. » Or cette expansion a connu un point d’arrêt. Aujourd’hui l’ÉI est encerclé, par les Russes et le président syrien à l’ouest, les Kurdes au nord, les Chiites irakiens à l’est, et, au sud, des pays dont les populations lui sont défavorables (Libanais, Jordaniens et Palestiniens).
Plus problématique encore que ces limites, c’est à un déclin territorial que l’ÉI fait face, notamment dans les zones où l’organisation est opposée aux combattants kurdes. Cependant la victoire est encore loin pour ses adversaires, tant l‘organisation djihadiste dispose de moyens humains et matériels importants. Sur Vox, un spécialiste des questions liées à l’ÉI, Will McCant, explique que les récents attentats, extrêmement spectaculaires, pourraient avoir pour but d’occulter les pertes de territoires et de continuer à positionner l’ÉI comme leader du djihad à l’échelle mondiale.
Ainsi ce n’est pas qu’une lutte de l’esprit qui s’est engagée. Le conflit est également de nature géostratégique. Laissons à Albert Camus les derniers mots, afin de mettre un peu d’espoir dans le combat qui s’annonce : « nous luttons pour des nuances, mais des nuances qui ont l’importance de l’Homme même. Nous luttons pour cette nuance qui sépare le sacrifice de la mystique, l’énergie de la violence, la force de la cruauté, pour cette plus faible nuance encore qui sépare le faux du vrai et l’homme que nous espérons des dieux lâches que vous espérez. »