Mi-novembre, nous commençons enfin à avoir un bel aperçu des poils faciaux de nos camarades masculins. Barbe complète, moustache, ou bien quelques poils rebelles… Movember est bien là, sur le visage de nombreux hommes. Mais, en plein milieu de la mode hipster qui fait déjà exploser le nombre de barbiers en ville, on s’interroge sur la crédibilité de ce mouvement.
Logiquement, ce genre de fondation extrêmement médiatisée soulève quelques questions. Tout le monde se demande plus ou moins si ces gens qui se font pousser la moustache participent vraiment, financièrement parlant, à la lutte. Un peu comme le le défi du seau d’eau glacée de l’été dernier, créé par une fondation luttant contre la sclérose latérale amyotropgique (SLA). Vu le nombre de vidéos sur Facebook, on se demandait déjà à l’époque si toutes ces personnes faisaient un don. L’année dernière, les Sociétés de la SLA avait en fait soulevé 17 millions de dollars.
Les origines de la fondation Movember.
La fondation Movember a été créée en 2003 par deux amis à Melbourne, en Australie. Autour d’une bière, ils se sont lancés un défi, remettre la moustache au goût du jour, et ont trouvé 30 hommes pour relever le défi. De là, l’idée assez farfelue que les poils pouvaient avoir un quelconque impact sur le monde s’est développée. Movember est officiellement devenue une organisation caritative en 2004, et ne cesse de grandir depuis. En 2014, quatorze pays participaient à Movember, de l’Afrique du Sud à la Suède, du Canada à Hong Kong ; l’organisation se répand verticalement, horizontalement, en diagonale, bref, mondialement. Aujourd’hui, Movember est fier de ses cinq millions de participants.
Contrairement à ce que certains peuvent penser, Movember n’est pas concerné que par le cancer de la prostate. Sur son site, la fondation déclare lutter pour « que les hommes vivent plus longtemps, plus heureux, et en meilleure santé ». Les quatre domaines qui pour eux sont essentiels sont le cancer de la prostate, le cancer testiculaire, la mauvaise santé mentale, et l’inactivité physique. Pour chaque domaine, Movember a une stratégie de financement différente.
De tous les domaines, la mauvaise santé mentale est particulièrement touchante : trois suicides sur quatre sont commis par des hommes, pour un total de 510 000 suicides par an (presque un homme chaque minute). Quant au cancer de la prostate, il est le deuxième cancer le plus courant chez les hommes. D’ici 2030, le nombre d’hommes atteint de ce cancer pourrait doubler, selon la fondation, pour atteindre 1,7 million de cas. Cette « crise cachée » de la santé des hommes est, pour Movember, une des raisons principales derrière la différence de longévité entre les hommes et les femmes (en moyenne, les hommes vivent 6 ans de moins que les femmes).
Leurs valeurs font chaud au cœur : plaisir, responsabilité, sollicitude, humilité. La fondation est innovatrice, mène des expériences remarquables, et est un agent de changement. Avec en plus une très bonne politique de transparence (tous leurs bilans financiers sont mis à la disposition du public sur leur site internet). Mais avant tout, Movember se veut drôle : un peu ridicule, certes, la moustache est une irrésistible manière de mener un combat contre la mauvaise santé des hommes.
La moustache démystifie la virilité
Depuis les débuts de Movember en 2003, les dons ont été généreux : plus de 667 millions de dollars ont été amassés, et ont permis à la fondation de financer plus de 1 000 programmes dans les quatre domaines de santé masculine visés. Leur définition de la réussite est de « trouver des solutions novatrices qui amélioreront concrètement la vie des hommes », et seul les dons permettent de tels investissements.
Mais il y a quelque chose de plus profond que l’argent. Movember sensibilise le monde. Même si pendant ce fameux mois, l’équipe Movember organise de nombreux évènements pour lever des fonds, c’est aussi le moment de discuter, tout simplement. D’apprendre. De se rendre compte de l’état de santé des hommes. Le nouveau directeur de Movember à Vancouver décrit lors d’une entrevue avec CBC comment, d’une certaine manière, le mouvement va à l’encontre de l’idée d’un homme « viril » qui ne parle pas de ses problèmes, n’a aucune faiblesse, et n’a pas de soucis de santé (mentale ou physique). En outre, deux des cancers dont Movember parle sont génitaux—une partie du corps déjà taboue et stigmatisée. Dépasser la gêne sociale pour avoir une discussion à propos d’une partie du corps particulièrement privée, c’est un pas vers une meilleure sensibilisation du public et une pierre en moins à au mythe de la « virilité ».
Le problème du stéréotype de l’homme « viril » a déjà été condamné, mais reste profondément ancré dans la vie de tous les jours. Quotidiennement, on demande aux garçons de ne pas pleurer, de « parler comme un homme », en somme « d’être un homme » et tout ce que cela implique. Il est souvent considéré comme le devoir de l’homme de prendre soin des autres et de lui-même, sans forcément demander de l’aide, et encore moins d’avouer ses faiblesses. Dissimulé sous les moustaches, en réalité Movember se veut attaquer ce stéréotype et sensibilise les gens à l’idée que les hommes ne sont pas infaillibles et ont besoin d’aide.
Ainsi, agir n’est plus seulement une question de donation : cela peut simplement prendre la forme d’une discussion très simple, avec un ami à propos de la santé générale des hommes, ou alors d’un bilan de santé chez le médecin.
Ce que Movember nous apporte à tous.
Movember est une organisation qui nous rappelle les problèmes de nos homologues masculins, leurs souffrances et leurs inhibitions, et qui nous incite, hommes et femmes, à participer dans cette entreprise aux allures un peu déjantées. Ses créateurs ont réussi à concilier deux idées qui semblent pourtant opposées : en signe de soutien à cette fondation, les hommes se font pousser une barbe, c’est à dire un élément capillaire propre à l’homme et souvent symbole de virilité. Mais la fondation en elle-même combat ce mythe de l’homme infaillible, en parfaite santé, qui peut supporter le poids du monde sur ses épaules sans jamais flancher. C’était un pari risqué, mais jusque-là, c’est un pari tenu.