L’Opéra de Montréal présentait samedi 21 novembre la première représentation d’Elektra du compositeur allemand Richard Strauss. Cette tragédie en un acte, créée en 1909 à Dresde, reprend la célèbre pièce du dramaturge grec Sophocle. Strauss avait écrit Elektra lors de sa première collaboration avec le poète et dramaturge Hugo von Hofmannsthal, dans un langage musical radicalisé, empreint d’un paroxysme de modernité et d’expressionisme musical. L’œuvre est marquée par la facilité caractéristique de son compositeur. Les décors sont sobres, mise à part l’immense statue qui surplombe la scène et qui impressionne – pour ne pas dire « intimide » – le public tout au long du spectacle.
C’est elle, l’énorme sculpture d’environ 2400 kilos en forme d’homme nu à moitié agenouillé, qui va donner sa grandeur à la pièce. Car on ne pouvait pas compter sur le jeu des servantes pour créer une dynamique entraînante, qui aurait peut-être permis à mon voisin de rester éveillé pendant la première moitié de l’acte – m’évitant ainsi de devoir dissocier les petites voix sopranos à faible portée de ronflements fainéants. Il faut l’avouer et c’est bien dommage : tout le début de l’histoire est joué de façon très lente, machinale. On n’a presque pas envie de lire les sous-titres qui traduisent l’allemand dans lequel papotent les servantes.
Ces dernières commentent le comportement d’Électre, jeune fille qui pleure la mort de son père, le roi Agamemnon. Jouée par la chanteuse soprano américaine Lise Lindstrom, celle-ci est, pour sa part, très convaincante. Ses cris endeuillés d’appel à une vengeance sanglante retentissent volontiers dans l’opéra en même temps qu’ils choquent sa sœur Chrysothémis, prude et fragile, jouée par une soprano allemande, Nicola Beller Carbone.
Les méchants de l’histoire, Clymnestre et Égiste, la mère hypocondriaque et son amant autoritaire, sont les meurtriers du roi. Agnes Zwierko (mezzo-soprano) est époustouflante dans le rôle de la mère malade et insatisfaite, coupable et égocentrique, criarde. De son côté, John Mac Master n’a que quelques courtes minutes pour convaincre les spectateurs, puisque le ténor ne fait qu’une brève apparition à la fin, lorsqu’il découvre en rentrant chez lui que l’on s’est vengé de l’assassinat du roi et que sa femme est morte. C’est le talentueux Alan Herd, baryton-basse, dans le rôle d’Oreste, frère d’Électre, qui se charge de venger Agamemnon. Oreste le ténébreux procure au public une joie démesurée lorsqu’il surgit de l’ombre, alors qu’on l’avait cru mort depuis le début, surprenant sa sœur qui ne le reconnaît pas du premier regard. Les retrouvailles sont touchantes, les voix mélangées dans les baisers fraternels font vibrer les entrailles des spectateurs.
Tandis que l’action se déroule sur scène à l’échelle humaine, la statue, qu’Électre fait tourner sur elle-même du début à la fin, se positionne en divine surveillante des actions de nos personnages mortels. Alors que l’on en observe les divers angles, on est toujours aussi choqué par sa grandeur, son imposante lourdeur et l’incroyable génie par lequel les techniciens Alain Gauthier, Victor Ochoa et Étienne Boucher réussissent à faire couler la lumière sur les formes du géant.
Chaque acteur est acclamé par les applaudissements du public, à la fin du spectacle, avec une petite préférence pour certains peut-être. Malgré un long début, ce fut tout de même un bon moment.