Le conflit syrien qui oppose depuis 2011 les rebelles au régime de Bachar al-Assad a provoqué selon l’UNHCR (Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés, ndlr) le déplacement de plus de 4,5 millions de personnes à l’étranger. Sur ce nombre, 1,9 million est parvenu en Turquie et un million au Liban. Près de 350 000 d’entre eux ont déjà obtenu l’asile en Europe mais le flux reste abondant et provoque dans les pays concernés nombre de débats politiques à propos des limites de l’accueil.
Le même a lieu au Canada où, après presque une décennie sous le gouvernement conservateur et réticent de Stephen Harper, le nouveau cabinet libéral de Justin Trudeau s’est engagé à faire venir 25 000 Syriens. Mais qui sont les réfugiés ? Comment arrivent-ils ici ? Quels sont les enjeux, politiques et réels, de leur venue au Canada ? Le Délit a rencontré Farès Antaki, étudiant en médecine à McGill d’origine syrienne, mais surtout président de la Fondation d’Alep, une association qui s’occupe de l’accueil de Syriens à Montréal, Chantal Hudson, coordinatrice à l’Alliance Canadienne pour l’Aide aux Syriens (CASA) et enfin Mitchell Goldberg, avocat chez Goldberg Berger. Ces derniers ont répondu à nos questions afin de démêler les nœuds de l’asile politique au Canada.
« Réfugié », mode d’emploi
Il nous revient, comme à tout bon élève, de définir les termes et les éléments à la base du problème. La Convention de Genève, adoptée en 1951, définit le statut de réfugié comme tel : toute personne située hors de son pays de nationalité ou de résidence habituelle, « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques » et qui ne veut ou ne peut se réclamer de la protection de ce pays. Selon cette même convention, les pays doivent accorder l’asile aux réfugiés et ne peuvent sous aucune condition les renvoyer dans leur pays d’origine.
« Il y a quelque chose de très primitif qui provoque une réaction négative chez les Canadiens »
Les réfugiés cherchant à rentrer au Canada doivent faire valoir auprès de la Commission de l’Immigration et du Statut de Réfugié (CISR) qu’ils correspondent aux critères définis par la Convention de Genève. Une fois le formulaire « Fondement de la demande d’asile » remis à la CISR, les demandeurs disposent d’entre 30 et 60 jours (selon leur pays d’origine et la forme de leur demande), pour rassembler les documents relatifs à la demande et se préparer à l’audience de détermination du statut de réfugié.
En réalité, la procédure de demande d’asile est souvent bien plus lente que stipulée par la CISR. En septembre dernier, le journal La Presse racontait l’histoire de Hussein Rahim qui, arrivé en 2012, n’avait toujours pas été convoqué pour son audience. Tenu de rester sur le territoire canadien tant qu’il n’a pas officialisé son statut, M. Rahim dispose pour l’instant de documents valides jusqu’en 2017. Il précise dans son témoignage que deux de ses amis, arrivés eux aussi en 2012, font face aux mêmes difficultés. Le problème viendrait de l’excès de demandes en attente (8 000 au 1er janvier 2015, selon la même source).
Rhétorique d’élections
Selon Me Goldberg, « historiquement, le Canada a toujours été l’un des pays en tête pour l’accueil des réfugiés ». Pourtant, dans les dernières années, le pays a pris un grand retard en terme d’aide humanitaire. L’accueil des réfugiés est devenu un sujet de prédilection en politique. Le Parti conservateur attache une rhétorique négative au sujet des réfugiés, en en faisant une affaire de sécurité interne et de protection des citoyens canadiens ; « le gouvernement conservateur a permis à seulement 3 000 réfugiés de venir en quatre ans et cela inclut aussi ceux qui sont parvenus aux Canada avant de faire une demande d’asile », précise Me Goldberg.
En 2012, les lois relatives à l’immigration ont été changées. Le nombre de détentions à l’arrivée a fortement augmenté,et la période de préparation à l’audience a été réduite. La loi a aussi établi une liste de quarante pays dits « sûrs », dont les ressortissants n’ont pas droit d’appel à la décision de la CISR.
« Nous avons réussi à récolter 36 000 dollars jusqu’ici, et 30 000 ont été reversés là-bas ! »
La vision des réfugiés dans l’opinion publique est souvent teintée de peur. Il y a une stigmatisation machinale de l’immigrant qui débarque d’un bateau, avec ses histoires d’horreur, ses pertes inimaginables et son malheur qui fait mal à voir, à admettre. Pour rassurer ceux qui s’arrêteraient à cette image réductrice, nos trois interlocuteurs se sont accordés sur le haut niveau d’éducation des Syriens arrivant au Canada (le nombre d’années obligatoires à l’école est de neuf ans en Syrie, ndlr). Ce sont surtout des membres de la classe moyenne qui arrivent ici. « Il y a quelque chose de très primitif qui provoque une réaction négative chez les Canadiens », commente Me Goldberg. Et cela est d’autant plus vrai chez nos voisins européens.
Le Canada et le Québec ont une population vieillissante : l’immigration peut être la solution.
En 2015, « la plateforme libérale a été construite avec une forte volonté de protection des réfugiés », dit Me Goldberg. La rhétorique libérale a été accompagnée d’une restauration du discours médiatique sur les réfugiés. « Avec la photo du petit Aylan sur la plage, lequel s’est avéré avoir une connexion directe avec le Canada, la demande d’asile de sa famille ayant été rejetée, mais aussi avec la quantité grandissante de réfugiés arrivant à nos portes, l’opinion publique s’est mobilisée pour leur venir en aide.»
Les promesses de campagne des Libéraux ont abouti à un programme d’accueil des réfugiés, dont la première lancée a eu lieu avant la fin de l’année 2015. Dix-mille réfugiés ont déjà été amenés au Canada et le gouvernement prévoit que le reste arrivera d’ici la fin du mois de février. Il a déjà accumulé du retard sur la promesse initiale (25 000 avant le 1er janvier); c’était sans prendre en compte la prise de pouvoir quelque peu tardive (au mois de novembre) et la mise en place des infrastructures nécessaires. Selon Me Goldberg, « le Canada a pris du retard sur ses voisins allemands, libanais et turcs, mais il est en bonne passe de les rattraper.»
Essentielles associations
Alors que le gouvernement se mobilise tant bien que mal pour trouver des logements, assurer des services sociaux et des emplois, les associations d’aide caritative dans l’ensemble du pays ont un rôle fondamental. C’est le cas, notamment, de CASA. Mme Hudson a énuméré les domaines d’action de l’alliance pour laquelle elle travaille : l’objectif primordial est de « participer à l’intégration des réfugiés syriens dans la région du grand Montréal et secondairement au Canada ». Ceci implique la mise en place « d’une ligne d’appel pour répondre aux questions du public et des réfugiés », la distribution de « matériel d’urgence pour les premiers jours à Montréal ». En plus de son mandat canadien, CASA s’occupe de lever des fonds pour financer l’aide aux réfugiés dans les camps libanais et turques. Cette mobilisation a notamment permis la création de l’école al-Salam (qui veut dire « la paix » en arabe, ndlr), dans laquelle sont admis 1 500 étudiants réfugiés syriens. L’alliance a aussi travaillé avec l’association des étudiants syriens de Concordia pour obtenir des bourses afin que les meilleurs éléments de cette école puissent venir étudier à Montréal.
M. Antaki, pour sa part, nous a parlé de la Fondation d’Alep, organisme qu’il a fondé en avril 2015. Tout comme CASA, la Fondation s’occupe de prendre soin des Syriens qui arrivent à Montréal, et d’envoyer de l’argent en Syrie. « Nous avons réussi à récolter 36 000 dollars jusqu’ici, et 30 000 ont été reversés là-bas ! » La Fondation d’Alep, en outre, a recueilli des vêtements d’hiver pour seize familles à Sherbrooke. Dans les autres fonctions de l’organisme figurent l’aide à l’apprentissage de la langue (le gouvernement québécois propose d’ailleurs des cours de français gratuits à l’arrivée, ndlr), l’inscription à l’école, la facilitation de l’accès aux services de santé, légaux, etc.
Cela nécessite un travail urgent et abondant, mais Mme Hudson autant que M. Antaki assurent que l’intégration des Syriens une fois arrivés et installés se fait sans réelles difficultés : « il y a déjà beaucoup de Syriens ici, et la communauté est très active », précise Farès.
Mme Hudson conclut ainsi que « l’arrivée au Canada est toujours un moment très positif, mais c’est très peu quand on pense à tous ceux qui sont restés. Ceux qui sont venus sont très chanceux dans leur malheur. » Avec des chiffres de déplacement pareils, cela tient presque du miracle.