Entre nous, on peut se le dire : on ressent tous de l’amertume quand une discussion animée se termine par le terrible « Tu dis ça parce que tu as vingt ans ». Immédiatement, je me demande : mon âge est-il vraiment une limite, est-il un boulet à mon pied ? Quel âge faut-il donc avoir pour qu’une personne soit considérée comme ayant des opinions sérieuses et respectables ? Trente ans ? Quarante ? « Moi aussi, quand j’avais vingt ans» ; « Mais qu’est-ce que tu en sais, toi, à vingt ans» ; « Tu verras, quand tu auras mon âge, tu ne verras pas les choses de la même manière»… Il y a quelque chose dans cet argument qui me met mal à l’aise, et qui mérite d’être disséqué.
Seulement une vingtaine d’années au compteur : je sais !
Avant tout, il est important de reconnaître qu’effectivement, à chaque âge son point de vue.Je ne dénigre pas le point de vue d’une personne de trente, quarante, soixante ou soixante-dix ans. Dans une société où l’on respecte l’adulte, j’estime son opinion en tant qu’individu mais aussi en tant qu’aîné, au nom de l’expérience et de la maturité. Il est évident qu’avec à peine une vingtaine d’années d’expérience, il y a de nombreuses choses que je n’ai pas vues, pas entendues, plein de batailles que je n’ai pas pu livrer et que je n’ai observées que dans les journaux ou à la télé.
Il faut faire une distinction entre deux possibles intentions, lorsque l’on m’accuse de n’avoir que vingt ans. Dans le premier cas, l’adulte prévient que l’expérience me fera sûrement changer d’avis — néanmoins rien ne m’oblige à un jour partager son avis en particulier. Dans le second cas, l’adulte, excédé dans cette dispute, décide de me rabaisser dans l’espoir de remporter l’argumentation. J’observe néanmoins quelque chose d’étrange dans cette relation de respect : pourquoi l’âge n’est-t-il pas une arme contre mon aîné ? Il l’avantage, mais il m’écrase. N’ai-je donc rien vécu, rien lu, rien appris qui ait une quelconque valeur ?
L’âge n’est pas un argument convaincant
Je prendrai donc le temps d’expliquer en quelques points pourquoi l’âge n’est pas un mauvais argument, mais n’est tout simplement pas un argument. Me dire que mes vingt ans m’empêchent d’être prise sérieusement est une attaque envers la personne que je suis en cet instant précis — une personne de vingt ans.
Car, après tout, on m’apprend à réfléchir. Comme toutes et tous mes camarades à l’université, je passe des heures à lire, écrire des dissertations interminables, mettre mes arguments en forme, pour finalement prendre en compte les commentaires de mes professeurs. J’accepte et respecte ce qu’ils ont à dire ; je grandis et m’épanouis dans cette critique constructive. Jamais un professeur ne critiquerait une dissertation sur la base que mon argument était trop « jeune ». Il peut être mal argumenté, mais jamais trop immature.
De plus, chers anciens, comme vous, je suis confrontée aux gros titres des journaux. Ils me terrifient et m’horrifient autant que vous. Je me sens responsable de ce monde dont je vais hériter. C’est normal qu’il me tienne à cœur, après tout, je suis censée y passer les cinquante prochaines années. Et je m’inquiète autant de ce monde que de votre cynisme. Naturellement donc, je me suis renseignée avant de parler. Je ne prétends pas tout connaître, mais je n’ai pas commencé cette discussion de but en blanc : j’ai lu, discuté, je m’inspire d’expériences de personnes rencontrées, et j’ai dû mûrir un argument que je trouve convaincant. Peut-être que je ne vous convaincs pas, néanmoins vous vous devez de réfuter mon raisonnement, pas mon âge.
Avoir une opinion n’est pas un privilège que l’on acquiert passé un certain âge.