La semaine dernière, le premier ministre du Québec Philippe Couillard a procédé à un important remaniement ministériel à Québec. Presque deux ans après son élection à l’Assemblée nationale, l’équipe du PLQ (Parti Libéral du Québec, ndlr) a traversé, presque sans encombres, le plus gros défi qui se posait à lui : faire gober aux Québécois son austérité budgétaire. Bien sûr, des hauts cris furent poussés. Bien sûr, les groupes sociaux, les syndicats, la gauche et, éventuellement, tous les détracteurs du PLQ exprimèrent fortement leurs réserves quant aux nombreuses coupures qui furent faites. Aucune ne devait affecter les services sociaux nous promettait-on en campagne électorale. Les rares naïfs qui restaient ont aujourd’hui perdu leurs illusions. Il semble toutefois que le remaniement ministériel laisse poindre à l’horizon l’espoir de moins tristes jours. Avec l’ineffable Sam Hamad remplaçant le psychorigide Martin Coiteux au Conseil du trésor, il n’est pas difficile d’imaginer une deuxième moitié de mandat généreuse et pensée de façon à amadouer l’électorat. Un ministère retient toutefois l’attention dans tout ce brouhaha : le ministère de l’Éducation.
Cinq en cinq
La nomination de Pierre Moreau à l’Éducation nous met face à une dérangeante réalité : l’apparente incapacité de proposer un projet éducatif enthousiasmant pour le Québec. Moreau devient, en effet, le troisième ministre de l’Éducation de la présente législature et le cinquième à occuper ce poste en autant d’années. Le constat n’est pas anodin. Comment se fait-il que le deuxième plus gros portefeuille du Gouvernement soit accablé d’autant d’instabilité politique ?
Il est vrai que de nombreuses réformes, toutes contestées, ont été adoptées par le passé, et qu’un certain essoufflement se ressent à cet égard. Il est aussi vrai que l’épisode du Printemps érable a probablement échaudé tout ministre songeant un instant à augmenter les frais de scolarité ou à restreindre l’accès au frugal programme d’aide financière aux études. Quels sont les dossiers prioritaires à l’Éducation actuellement ? Quels défis doivent relever les ministres qui se succèdent ?
Manque de vision
Voilà peut-être l’un des problèmes majeurs du système éducatif québécois dans son état actuel. Du côté gouvernemental, on vit mal avec son coût. La « priorité à l’éducation » annoncée au dernier budget s’est concrétisée en coupure de services aux élèves affectant directement ceux en difficulté et, par ricochet, tous les autres. Du coté des étudiants, des enseignants et des citoyens préoccupés par l’école québécoise, on parle de l’urgence de s’occuper des infrastructures déficientes, d’améliorer les services, d’augmenter l’accès aux études. Difficile de concilier ces deux positions diamétralement opposées.
J’observe toutefois ceci : on ne semble avoir, pour la formation de nos jeunes esprits, aucune vision, aucun projet, aucune ambition qui dépasse la gestion comptable, comme si l’Éducation nationale du Québec n’intéressait en fait personne. On l’instrumentalise à des fins partisanes, on s’en sert pour faire avancer son agenda et pour faire perdre du capital politique à ses adversaires, mais jamais on ne semble s’intéresser à elle en soi. Pourquoi ?
Plus rien à saboter
Si l’on ne semble montrer aucun intérêt envers le projet éducatif québécois qui aille au-delà de l’horizon pathétique des contingences comptables, c’est peut-être que l’on a aujourd’hui plus grand chose à saboter. Au fil de réformes transformant l’élève en « apprenant » et l’enseignant en pédagogue, à force de vouloir sortir la vie des idées de la salle de classe pour y faire entrer la vie de tous les jours, d’enlever à l’École ce qu’elle a de dépaysant sous prétexte de la rendre accessible et d’ainsi mieux figurer au palmarès bidon des pays où les taux de diplomation sont élevés, on a fini par venir à bout de cette fâcheuse tendance que nous avions à former des esprits libres inscrits dans l’héritage de leur civilisation. On forme maintenant de bons acteurs socio-économiques cheminant en droite ligne et faisant ce que l’on attend d’eux qu’ils fassent.
L’École est devenue un « système » comme la politique québécoise est désormais réduite à la gestion comptable de l’État. Quelle cause cela sert-il ? La soumission docile des citoyens aux diktats du dogme idéologique dominant et l’acceptation béate de ses visées hégémoniques ? Que ce soit le ministre #1 ou le ministre #5 qui soit en poste, il y a fort à parier, hélas, qu’aucune conversation collective de fond sur l’École ne se tiendra d’ici un bon moment.