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Rona naturalisée américaine ?

Analyse de l’acquisition de l’entreprise par son compétiteur Lowe’s.

Mahaut Engérant

« On est maintenant dans une économie ouverte et libre », a répété maintes fois le premier ministre Philippe Couillard, en commentant l’achat de Rona — géant québécois de la quincaillerie — par Lowe’s, son voisin américain. 

M. Couillard a donc donné sa bénédiction jeudi dernier à la vente du fleuron de la Québec Inc. (la communauté d’affaires québécoises, ndlr), pour un montant estimé à 3,2 milliards de dollars canadiens. Cette acquisition était pourtant loin d’être facilement négociable. En 2012, Lowe’s avait déjà fait une offre à Rona, mais la direction du détaillant québécois et le gouvernement avaient jugé la proposition de 1,7 milliard de dollars canadiens inacceptable. Par la suite, dans un climat de campagnes électorales, les partis politiques — dont le Parti Libéral du Québec — s’étaient engagés à prendre des mesures pour protéger les entreprises québécoises contre les offres d’achat hostiles de compagnies étrangères.

Aujourd’hui, le gouvernement refuse « d’ériger des murs autour de Québec » et accepte l’offre de Lowe’s, devenue plus alléchante, et même « bénéfique » selon la nouvelle ministre de l’Économie, de la Science et de l’Innovation, Dominique Anglade — propos qui n’ont pas tardé à faire sortir de ses gonds l’opposition.

Mahaut Engérant

Achat de Rona : bénéfice ou perte pour le Québec ?

Philippe Couillard a réitéré sa ferme décision de transformer l’économie québécoise afin de la greffer à « la transformation profonde de l’économie mondiale ». Il est même décidé à détruire la forteresse érigée autour des fleurons de la Québec Inc., qui pour lui doivent être les emblèmes d’une économie ouverte et libéralisée. Que Rona devienne américaine est donc une bonne nouvelle. Qui, à part M. Couillard, se satisfait de cette acquisition ? Les actionnaires sont les premiers bénéficiaires : leurs investissements doublent de valeur en un temps record. En effet, la dépréciation du dollar canadien et les poches bien remplies du nouvel ami Lowe’s permettent une acquisition très avantageuse. La Caisse de dépôt (institution financière qui gère les placements des Québécois, ndlr), elle aussi, tire profit de cette situation. Détenant 17% des actions de l’entreprise, elle devrait pouvoir empocher plus de 200 millions de dollars. 

Néanmoins, ces chiffres mirobolants ne concernent pas tous les acteurs de cette acquisition. Du côté des fournisseurs, peu auront l’occasion de s’étendre sur les marchés américains et mexicains, et les petits fournisseurs et commerces affiliés de Rona ont de grande chance de rester sur la touche. La philosophie « nationaliste » qu’avait adopté Rona (50% de ses achats sont effectués au Québec et 35% proviennent du reste du Canada) risque de prendre du plomb dans l’aile face à un détaillant qui cherche la maximisation de ses bénéfices. En effet, Lowe’s aura tout intérêt à obtenir des produits moins coûteux que ceux proposés par les manufacturiers canadiens. Qu’adviendra-t-il de ces fournisseurs locaux, qui représentent des milliers d’emplois au Québec ? 

Des emplois supprimés ainsi qu’une expertise perdue, c’est également le sort attendu par le siège social de Rona, actuellement situé à Boucherville, qui va lentement graviter vers la Caroline du Nord, sous gouvernance américaine. Pour autant, Lowe’s a assuré que les bureaux de Boucherville représenteront le siège social de ses opérations canadiennes.

Qui sera le prochain Rona ?

Que de grosses entreprises québécoises passent sous contrôle étranger est loin d’être une première. Ces dernières années, plusieurs grandes compagnies, telles que Provigo, Alcan et le Cirque du Soleil ont été accaparées par des investisseurs étrangers. Des leçons ont été tirées de ces expériences : les belles promesses, comme la protection des emplois et des sièges locaux, passent souvent à la trappe.

C’est pourquoi l’opposition est grandement inquiète de ce tournant économique initié par M. Couillard. François Legault, à la tête de Coalition avenir Québec, déplore : « Un des gains des nationalistes québécois, tous partis politiques confondus, a été de faire du Québec une économie de propriétaires. Maintenant, les Libéraux acceptent que nous soyons une économie de succursales ». 


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