C’est Ban Ki-Moon qui l’a dit. « Canada is back ». La phrase a fait grand bruit et, depuis qu’elle a été prononcée, est diffusée en boucle par les médias québécois. On la reçoit unanimement comme un grand soupir de soulagement. Unanimement, sauf au club des esprits chagrins, dont je suis membre régulier. Tentons donc d’aller au-delà du séduisant slogan diplomatique. Le Canada est-il vraiment de retour, le Canada d’avant, celui qu’on présume d’emblée comme incarnant l’archétype de l’État bienfaiteur, vecteur de paix et d’entraide planétaire ? Il est vrai qu’entre le régime Harper et le régime Trudeau II, il n’y a pas photo. Qu’en ces temps de monotonie politique où les ambitions des différents acteurs oscillent entre l’équilibre budgétaire et le très constructif « fuck toute » de la gauche fâchée, l’arrivée de Justin fait du bien. Mais que diable fait-il ? Pourquoi fait-il tant de bien ?
La semaine dernière, une radio montréalaise rapportait que Justin Trudeau était allé dans un magasin d’Ottawa se procurer une planche à neige. Une interview de fond avec le gérant de l’endroit nous révélait qu’il était très gentil et qu’il avait choisi une planche fabriquée en Colombie-Britannique. Samedi dernier, la première chaîne de Radio-Canada nous racontait, dans son bulletin de nouvelles, que Justin Trudeau et sa famille étaient en visite au Carnaval de Québec et qu’après avoir sympathisé avec Bonhomme, la mascotte, la foule s’était ruée sur lui pour prendre des photos. Voilà qui soulage le public canadien. Ce que l’on raconte de notre chef d’État ce sont ses escapades touristiques et ses séances de magasinage. Ses observateurs critiques sont réduits à se lamenter sur du vide et à enfiler ainsi le costume peu flatteur du partisan amer qui cherche à critiquer et ne trouve rien à se mettre sous la dent tant le produit auquel ils s’intéressent est parfait. Harper, lui, n’avait pas le luxe de ce traitement médiatique. Il faut dire qu’il ne le cherchait pas et que cela n’aurait été à aucun moment en harmonie avec son style politique.
J’en appelle cependant aujourd’hui à notre esprit critique collectif. Mon appel est sincère, vient du fond du cœur et va bien au-delà de mes convictions politiques. Pour l’amour de la pensée, de la raison, de la réflexion, de tous ces principes qui, en théorie, nous amènent sur les bancs de l’université, pour l’amour du débat d’idées, offrons à nos élus ce que nous avons de meilleur en nous : notre capacité à aller au-delà du marketing qu’ils nous offrent pour juger leurs actes. Ne capitulons pas intellectuellement devant le séduisant. Passons scrupuleusement à l’examen toute idée qui nous paraît aller de soi. N’offrons pas à nos dirigeants le luxe de se protéger de leur imputabilité avec l’imperméable de notre regard hypnotisé par le néant qu’ils nous donnent à voir. Quel est ce Canada qui est enfin de retour ?
Un pays, au mieux, hautement perfectible. Qu’était ce Canada d’avant ? Peut-être était-il la fédération post-moderne par excellence, c’est-à-dire dénuée de toute identité nationale unificatrice autre que la négation du droit des nations qui la composent de décider de leur destinée… Il ne s’agit pas que du Québec ici, mais aussi des Premières Nations qui, rappelons-le, malgré leur opposition traditionnelle au projet d’indépendance du Québec, ne sont guère émancipées au sein de la fédération dans sa forme actuelle. Canada is back. Quel Canada ? Celui qui déclarait, lors de la campagne référendaire de 1995 au sujet des indépendantistes, « on les a écrasés à Québec, on va les écraser le 30 octobre » ? Celui qui, mine de rien, perpétue la suprématie du mâle blanc de langue anglaise ? Au lieu de nous réjouir de la vie mondaine de notre premier ministre, peut-être devrions-nous nous demander un moment comment le rendre effectivement meilleur.