Cela court-circuite pour Hydro-Québec, le producteur et distributeur québécois d’électricité. Le groupe a connu ses heures de gloire, remplies de désir de conquête, comme ce fût le cas en 2009 lorsque le groupe public québécois avait tenté de racheter son homologue de la province voisine du Nouveau-Brunswick pour un montant de 4,75 milliards de dollars canadiens. Cet élargissement n’avait pas eu lieu au final, avec un fort rejet de la population du Nouveau-Brunswick, refusant de voir son énergie sous tutelle de la province voisine. Dans une province où l’électricité est produite à 95% par les barrages hydro-électriques, l’acquisition d’un producteur et distributeur d’une autre province se serait accompagnée par une hausse de la part du nucléaire dans le cocktail énergétique d’Hydro-Québec (déjà de 2,1%). Ce rapprochement entre les deux géants a donc suscité une vive réaction au Québec également dans une logique de conservation des énergies renouvelables.
Le Québec et son géant de l’énergie
La réglementation des tarifs permet d’afficher les prix les plus bas d’Amérique du Nord, un système assez similaire à celui d’EDF (Électricité de France). Les clients sont regroupés en trois groupes principaux : résidentiel et agricole (tarif D), commercial et institutionnel (tarif G) et industriel (tarifs M et L). Les prix sont fixés par la Régie de l’énergie et la tarification est basée sur les coûts de fourniture du service, qui incluent l’amortissement sur les immobilisations, une provision pour l’entretien des installations, la croissance de la clientèle et un profit économique. Grâce à ce système, les prix sont longtemps restés stables, jusqu’à ce que la régie tolère huit augmentations successives entre 2004 et 2010, une opération qui permit à Hydro-Québec de dégager des marges plus conséquentes.
Néanmoins, une baisse des prix de l’ordre de 0,4% a eu lieu en 2011 et de 0,5% en 2012. Mais ces baisses doivent être relativisées car une nouvelle vague d’augmentation est en cours depuis 2014 et durera jusqu’en 2018. Elle s’explique par la privatisation du marché qui permet de choisir son fournisseur d’électricité. Par conséquent, les nouvelles installations nécessiteront de lourds investissements pour que la production énergétique soit opérationnelle et efficace rapidement. Les producteurs privés sont majoritairement composés de parcs éoliens autorisés depuis peu par le gouvernement du Québec. Un changement vraiment nécessaire ? Le débat est ouvert mais le contexte ne s’y prêtait pas vraiment dans une province où la majorité de la production électrique se faisait déjà via des énergies respectueuses de l’environnement. De plus, ce changement annoncera une hausse des prix pour toutes les catégories de clients : une perte de compétitivité par rapport aux autres provinces nord-américaines.
Hydro-Québec, moteur des industriels québécois
Le Québec se hisse parmi les plus gros producteurs d’aluminium, un procédé qui requiert de fortes quantités d’électricité. Depuis un siècle, le développement industriel du Québec a été stimulé par l’abondance de ressources hydrauliques. L’énergie représente une part importante des dépenses des secteurs des pâtes et papiers et de l’aluminium, deux industries établies de longue date au Québec. La grande industrie jouit d’un tarif plus bas que les clients domestiques et commerciaux en raison des coûts de distribution moindres. Le gouvernement du Québec utilise les bas tarifs d’électricité afin d’attirer de nouvelles entreprises et de consolider les emplois existants. On peut notamment citer Alcan, second producteur d’aluminium mondial pré-acquisition par Rio Tinto en 2007, qui profitait et profite toujours sous son nouveau nom, Rio Tinto Alcan, du tarif privilégié L dit « grande puissance ». Et l’entente entre la compagnie d’État québécoise et la multinationale ne s’arrête pas là. Rio Tinto Alcan ayant ses propres centrales hydroélectriques, Hydro-Québec est dans l’obligation d’acheter les surplus de la compagnie. Ainsi le groupe industriel semble gagner le beurre et l’argent du beurre.
Mais ces tarifs spéciaux pour l’industrie suscitent la polémique chez certains universitaires, dont Jean-Thomas Bernard et Gérard Bélanger, deux économistes à l’Université Laval. Dans une note économique pour l’Institut économique de Montréal datant de 2017, ils pointent du doigt les coûts trop élevés pour l’économie québécoise de ces tarifs spéciaux. La différence entre vendre de l’électricité à une aluminerie plutôt que sur le marché d’exportation coûte entre 255 357 et 729 653 dollars canadiens par personne employée dans une aluminerie. Une somme considérable que doit assumer le gouvernement du Québec en se privant de revenus supplémentaires.
Une étude remise en cause, sans surprise, par l’Association des consommateurs industriels d’électricité du Québec qui réplique en affirmant que les données de 2000 à 2006 tendent à démontrer que les prix obtenus par Hydro-Québec pour l’électricité exportée sont plus bas lorsque les quantités augmentent, et inversement. Un argument en faveur des industriels, qui militent pour conserver leurs tarifs avantageux. Le débat est encore en cours et se heurte à des considérations économiques dans un contexte difficile pour le gouvernement du Québec et l’équilibre budgétaire. L’industrie de pointe à forte valeur ajoutée permet au Québec de conserver des emplois industriels dans une société où les pays occidentaux sont frappés de plein fouet par la délocalisation. Les tarifs avantageux sont donc une forme de protectionnisme économique qui permettent aux industriels de produire à moindre coût afin de rendre les exports plus compétitifs et de conserver des emplois sur le territoire.
Hydro-Québec, au cœur de la province
L’ouverture du marché et les tarifs règlementés sont également confrontés à une identité québécoise bien marquée, qui se reflète au sein d’Hydro-Québec. Selon l’historien Stéphane Savard, Hydro-Québec est au cœur des préoccupations politiques, économiques, sociales et culturelles du Québec contemporain : « davantage qu’une simple entreprise publique, elle devient un instrument privilégié de promotion de représentations symboliques du Québec francophone, représentations qui se retrouvent inévitablement aux fondements des références identitaires en constants changements. » L’ouverture au marché des provinces voisines et des États-Unis, ne risque-t-elle pas d’atteindre l’identité du groupe ? Pas de réponse claire et précise mais il semblerait que le protectionnisme, tant culturel qu’économique, soit un terme de bon aloi dans la province francophone peuplée de huit millions d’habitants.
Hydro-Québec est un groupe qui a réussi à concilier énergies renouvelables et patriotisme. Nombreux sont les points communs avec EDF, le géant français de l’énergie, ou encore avec sa petite sœur, la Compagnie Nationale du Rhône (CNR), qui ne produit que de l’énergie hydroélectrique. Un rapprochement envisageable pour non seulement promouvoir une électricité verte respectueuse de l’environnement et des intérêts francophones partagés afin de nous rapprocher de nos cousins français.