Les Êtres chers, drame familial à l’horizon
L’objectif des RVCQ est de joindre les productions québécoises et le public montréalais. Les œuvres proposées sont diverses, allant du long métrage au cours de cinéma. Avec la très récente fermeture du cinéma Excentris, cet événement prend une signification différente. L’occasion est parfaite pour rencontrer des artistes peu connus, tels que Anne Émond, qui signe son deuxième film. Dans la salle du Cineplex Odéon, la réalisatrice nous introduit à l’histoire d’une famille par la mort brutale d’un vieil homme. Le patriarche semble-t-il, s’est pendu sans que l’on en évoque la raison et son fils cadet décroche son corps de la potence faite maison.
Dans la scène suivante le fils aîné, David, apprend le décès de son père, puis on retrouve la famille entière chez le notaire. Ce montage frénétique, qui nous presse de passer d’une conséquence à sa cause, se retrouve tout au long du film : l’un des exemples les plus marquants est quand David rencontre, tombe en amour, puis se marie avec son âme sœur, Marie, en trois plans. Ce parti pris peut être intéressant. Il use de notre inconscient cinématographique pour que l’on comble soi-même l’ellipse, dont les événements sont, somme toute, très génériques. Autant se concentrer directement sur les nouvelles situations que la réalisatrice souhaite montrer. Seulement, on comprend son erreur quand ce découpage entraîne l’incompréhension des actions des personnages.
Ainsi, lorsque l’un des personnages revoit brusquement son amour d’enfance, nous nous demandons s’il ne s’est pas écoulé plusieurs mois — voire plusieurs années — avant la scène précédente. Le temps que l’on ait la réponse à la suivante : « Ai-je manqué un détail ? », on est sorti du film. En outre, le temps laissé libre ne conduit pas à un développement particulier des personnages. Nous nous rendons compte, par exemple, que l’un des protagonistes souffre de troubles psychiques. Ce qui pourrait être sujet à approfondissement, compte tenu des intentions de la réalisatrice. Malheureusement, nous n’entendrons plus parler de lui jusqu’à la fin du film. Esthétiquement parlant, la réalisation est très fonctionnelle : la quasi-totalité de l’histoire est filmée en caméra épaule avec une longue focale, de basiques champs/contre-champs et la musique est anecdotique. Les seuls très beaux moments de fulgurance sont bien trop courts et nous laissent sur notre faim.
Plus on est de fous, moins on rit
Toutefois, ce film est vraiment agréable à regarder. Vous êtes perdus ? Laissez-nous deux minutes. Quand nous évoquions les intentions de la réalisatrice, ceci ne sortait pas de nulle part. Il se trouve que les RVCQ permettent, juste après la séance de visionnage, de discuter et d’interroger le/la réalisateur/trice. Ici Anne Emond souhaitait mettre en image la dépression et montrer qu’elle peut se manifester même chez quelqu’un qui a « tout pour être heureux ». De ce thème qui semble lui tenir à cœur, elle a tiré un film maladroit certes, mais profondément sincère. Loin des figures ampoulées du film Ville-Marie, on prend plaisir à suivre cette famille à distance de Montréal. Les personnages, bien que parfois difficiles à comprendre, restent touchants et suscitent l’empathie — mis à part le personnage-fonction de la mère. La fille aînée du couple, Karelle Tremblay, y est pour beaucoup, avec ses légers faux airs de Scarlett Johansson.
En espérant ne rien divulguer, on comprend brusquement que David souffre de mélancolie, avec des conséquences dramatiques. Les proches sont alors propulsés à la même place que le spectateur : impuissants, sans explication et tristes. Au sortir de la salle, on est ému, sinon touché, par cette tentative fébrile d’alerter sur ces malades ordinaires. ‑Nouédyn Baspin.
Endorphine, une vie en trois temps
Endorphine est un long-métrage de fiction qui s’inscrit dans la tradition surréaliste, réalisé par André Turpin, directeur de photographie, scénariste et réalisateur. Il fut notamment directeur de la photographie pour Incendies de Denis Villeneuve, et Mommy de Xavier Dolan. Endorphine est son quatrième long-métrage en tant que réalisateur. Ce film basé sur les expériences de l’inconscient nous plonge dans une atmosphère qui nous prive de tout ancrage dans le temps, en mêlant le rêve à des éléments de physique quantique.
L’œuvre de Turpin suit le personnage de Simone (jouée par Sophie Nélisse) lors de trois moments clefs de son existence. À douze ans, elle assiste au meurtre violent de sa mère dans un parking et subit un choc post-traumatique qui la laisse dans un état de déni. Ainsi semblant dépourvue de toute émotion, son stoïcisme poussé à l’extrême la ferait presque passer pour une « sociopathe » selon les propos du réalisateur. Le père de l’adolescente (Stéphane Crête) a donc recours à l’hypnose pour soulager sa fille en revisitant l’événement. C’est à partir de ces séances que l’on quitte le monde rationnel pour tomber dans le surnaturel et le surréalisme. Le spectateur est amené une douzaine d’années après ces événements : Simone (interprétée alors par Mylène Mackay) a vingt-cinq ans. Elle symbolise le monde du cauchemar et de l’angoisse, développe une obsession étrange pour sa voisine d’en face, et assiste à d’inquiétantes scènes dans le parking dont elle est la gardienne. Entrecoupant ces différents passages de la vie de la jeune femme, Simone, 60 ans (Lise Roy), devenue une physicienne réputée, donne des conférences sur la perception du temps et de sa nature.
La référence aux endorphines dans le titre, surnommées « hormones du bonheur » pour leurs effets similaires à ceux de la morphine, prend pleinement son sens au moment de la mort de sa mère. Face à son agresseur, Simone reste de marbre. Par la suite, elle semblera en perpétuel décalage émotionnel avec le monde qui l’entoure.
Tout au long du film, le public est ainsi ballotté entre l’inconscient et la violence des événements, jusqu’à ne plus pouvoir discerner la limite entre le rêve et le réel. C’est de fait le souhait d’André Turpin, qui invite l’audience à abandonner sa perception de la réalité et à « rêver le film » afin de « se laisser aller dans un voyage », porté par les performances touchantes de Sophie Nélisse et Mylène Mackay.
« Une atmosphère qui nous prive de tout ancrage dans le temps »
Le réalisateur, se qualifiant de rationnel, propose cependant « d’asseoir le spectateur comme un rêveur ». Il nous déconseille de chercher à comprendre ce « casse-tête », que lui même avoue n’avoir pas entièrement saisi après avoir passé huit ans à en écrire le scénario !
En utilisant l’inconscient comme une machine à voyager dans le temps, André Turpin bouscule nos convictions à la fois sur le temps, le réel et le rationnel, de manière peut-être plus abstraite que Christopher Nolan dans Interstellar. Même s’il nous laisse tout aussi dépourvu de réponses quand vient le générique. Âmes ultra-rationnelles s’abstenir ! ‑Colombe De Grandmaison
L’amour à Tokyo
Projetée au Cineplex Odéon, Tokyo Fiancée est une comédie romantique belge de Stefan Liberski, basée sur le roman autobiographique Ni d’Ève ni d’Adam de l’écrivaine Amélie Nothomb.
L’actrice Pauline Étienne y joue le rôle principal d’Amélie, une jeune femme belge de vingt ans qui décide de retourner au Japon, son pays de naissance. Nippophile, celle-ci s’efforce de s’intégrer à la société japonaise : elle prend des cours de langue, s’assoit en seiza même chez elle et répond au téléphone comme une vraie japonaise. Elle enseigne aussi le français à un Tokyoïte plutôt singulier nommé Rinri (Taichi Inoue), qui deviendra son amant. Ils semblent être faits l’un pour l’autre puisque Rinri, quant à lui, est un francophile. Ainsi, la vie est belle pour Amélie, elle a maintenant son propre amant japonais qui lui fait des visites personnalisées de Tokyo. « J’étais toujours heureuse d’être avec lui. Mais sans lui aussi. » dit-elle.
Cependant, cette histoire d’amour ne semble pas être le point focal de ce film. Tokyo Fiancée est plutôt un récit initiatique, racontant le passage d’Amélie vers l’âge adulte et l’évolution de sa compréhension du monde et d’elle-même. Une bonne partie du film utilise le voice-over pour nous permettre d’observer ses pensées et ses réflexions. Les scènes ponctuées de moments oniriques tirés du monde imaginaire d’Amélie sont amusantes bien que légèrement stéréotypées. La musique de film est simple et enfantine, tout comme Amélie. En fait, la musique, le style du film, ainsi que le personnage principal nous rappellent fortement la très-aimée Amélie du Fabuleux destin d’Amélie Poulain. Quoique la fin de Tokyo Fiancée laisse à désirer et nous laisse un peu insatisfait, ce film est à voir, surtout pour celles et ceux qui rêvent de vivre une aventure à l’étranger ! ‑Jenny Zhu