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Rondeaumanie

La salle Bourgie adopte un claveciniste.

Fondation Arte Musica

« C’est lui ! » 

Lorsqu’il entre sur scène, impossible de réprimer une certaine excitation de groupie, variation de la lisztomanie ou encore de la beatlemanie, à l’égard de cette jeune star du clavecin dont le concert tout-Bach à la salle Bourgie s’intitule d’ailleurs Imagine. Certes, les têtes grisonnantes font légion, de sorte qu’on se représente non sans une certaine ironie que nombre de ceux et celles qui roucoulent de plaisir en anticipant les accords de Rondeau sont peut-être les mêmes qui, jadis, ont adulé  les Fab Four. Durant la semaine qui a précédé son concert, des images et des vidéos de Rondeau ont circulé dans la médiasphère, question de mousser son passage : ici, un claveciniste guérilla-artiste qui déplace un instrument incognito pour jouer une chaconne (genre musical de l’ère baroque, ndlr) dans une aile de château abandonnée ; là, le portrait d’un claveciniste-sex-symbol accompagné d’une notice biographique attestant de « l’authenticité » de sa personnalité ; là encore, le récit édifiant d’un prodige-né, ponctué d’appels à la « vocation » de l’instrumentiste et de photos de remise de prix. 

Il ne faut toutefois pas exagérer : personne ne s’évanouit d’émotion lorsque le parisien de vingt-quatre ans s’approche humblement du clavecin flamand, l’ouvre lui-même, puis y installe ses partitions. Il s’agit du même instrument sur lequel un autrement moins charismatique Andreas Staier a joué devant une salle presque vide, un mois plus tôt. Le contraste entre les deux concerts est révélateur d’une vérité à laquelle le monde de la musique baroque n’a pas plus échappé que le reste du show-biz : au-delà du talent, si l’on veut attirer des foules, il ne faut pas avoir peur d’en mettre plein la vue. Exit l’allure austère d’un archétypique mandarin du clavecin comme Gustav Leonhardt en fin de carrière. Il faut parler à l’œil autant qu’à l’oreille, quitte à frôler le kitsch avec des gros plans de soi étalant un air inspiré sur des pochettes d’albums aux titres vagues et racoleurs. Jouer le jeu de l’Imagine-ation, quoi.

Or, la prestation de Rondeau — notons la cohérence entre son patronyme et sa profession – déroge entièrement de cette image. Soyons clair : il était excellent. La netteté de son contrepoint et le suivi de ses marches harmoniques étaient époustouflants. Son jeu, certes, est un peu romantisant pour les goûts de certains puristes qui prétendent détenir la vérité sur l’interprétation baroque bien qu’ils ne font que recracher quelques clichés glanés sur une pochette d’album de Glenn Gould. Mais à bien écouter, les interprétations romantisantes — pas romantiques avec rubato lisztiens, évidemment, mais qui se permettent simplement quelques élargissements ou rétrécissements subtils afin de mieux souligner certaines voix — font de plus en plus la norme. Un exemple notable : le style du claveciniste torontois Mark Edwards, qui a d’ailleurs gagné la première place en interprétation à Bruges en 2012, ex-aequo avec Rondeau.

Somme toute, Rondeau remporte le pari d’un concert à un seul compositeur, tout en démontrant la variété de l’écriture de Bach : plutôt que de s’en tenir à un livre entier du Clavier bien tempéré ou à quelques Suites au hasard, le programme met en scène des œuvres composées sur près de 35 ans de la vie du compositeur prolifique. Après le concert, Rondeau confie au Délit qu’il tenait à aborder Bach en tout début de carrière : un genre de passage obligé. Maintenant, c’est fait et sans attendre, il plonge dans la prochaine aventure. Il récompense l’ovation du public montréalais avec un double-encore de compositeurs tirés du projet qu’il a entrepris après Imagine : Jean-Philippe Rameau et Pancrace Royer, titré Vertigo d’après la célèbre pièce de ce dernier. Un début qui mise gros, croît-on, puisque s’il aurait fait autorité sans trop de compétition avec un répertoire plus obscure,  en faisant le choix d’endisquer des incontournables comme Bach et Rameau, il se mesure dès son entrée sur la scène internationale aux plus grands de ces dernières générations, tels que Christophe Rousset, Blandine Rannou, le regretté Scott Ross, ou encore Luc Beauséjour, présent d’ailleurs au concert.

Rondeau remporte le pari d’un concert à un seul compositeur, tout en démontrant la variété de l’écriture de Bach

En clavecin comme ailleurs, tout change, mais les révolutions ne sont jamais parfaitement nettes, sans chevauchements ou échanges. En témoigne le geste de filiation avec Scott Ross que pose Rondeau en enregistrant Vertigo au Château d’Assas sur le même instrument que l’excentrique génie défunt. En témoigne aussi le selfie demandé à Rondeau devant sa loge par nul autre que Dom André Laberge, le fameux organiste et claveciniste de l’Abbaye-Saint-Benoît-du-Lac.

Fondation Arte Musica

 


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