Bien que plusieurs personnes affirment « ne pas voir la couleur » ou qu’elles disent savoir que la race est une construction sociale érigée en dogme pour justifier des atrocités commises par le KKK ou l’eugénisme, il devient de plus en plus évident que ce concept continue de faire des ravages réels et tangibles dans les vies des personnes racisées, et ce, « même si nous sommes en 2016 ».
Une situation intenable
Ce sont les décès effroyables d’Alton Sterling et de Philando Castile qui ont soulevé la colère de la communauté afro-américaine et de ses alliés dans les derniers jours en donnant un fâcheux sentiment de déjà vu. Car oui, l’histoire se répète. Mais le racisme n’est pas qu’individuel, il peut être systémique[1] ou même ordinaire, un racisme ordinaire qui se veut anodin et inoffensif. Et il se ne manifeste pas toujours par des insultes dont la finalité est un bain de sang. Quand on considère qu’il y a une sous-représentation des personnes racisées dans les sphères de pouvoir, dans la fonction publique et dans nos médias, mais que ces personnes sont surreprésentées quand nous parlons de pauvreté, de population carcérale ou de morts aux mains des autorités policières, il y a lieu de se poser des questions. Alors que certains attribuent ces inégalités à une tare inhérente à la race ou à la culture de ces personnes ou à un manque de volonté ou encore d’intelligence (tel que stipulé dans The Bell Curve[2]), plusieurs ignorent d’emblée les raisons structurelles et historiques de cet état de fait. Personne ne se dit raciste, tout le monde se dit « ouvert ». Pourtant quand on regarde les statistiques, il faut se rendre à l’évidence. En bon québécois, « y’a un bobo en quelque part ».
Une recrudescence du racisme
Depuis l’élection du premier président américain noir, bon nombre de gens ont pu croire que la situation des Afro-Américains s’améliorerait. Et pourtant, on aura enregistré depuis l’ère Obama une recrudescence des crimes haineux envers les Noirs selon le Département de justice américain[3], plusieurs individus étant galvanisés par une crainte de perdre leurs privilèges. Toutefois, le racisme n’est pas toujours aussi facilement observable. Dans son ouvrage Racism without Racists : Color-Blind Racism and the Persistence of Racial Inequality in America (Le racisme sans les racistes : le racisme indifférent à la couleur et la persistance des inégalités raciales en Amérique, 2006) le professeur universitaire Eduardo Bonilla-Silva explique comment le racisme a migré vers des formes d’expression beaucoup plus subtiles et sournoises parce que ce n’est plus « politiquement correct » d’être ouvertement raciste de nos jours. À l’instar du sociologue, Michelle Alexander, professeure de droit à l’Université d’Ohio, abonde dans le même sens et même encore plus loin dans The New Jim Crow : Mass Incarceration In the Age of Colorblindness (Le nouveau Jim Crow : l’incarcération de masse à l’âge de l’indifférence à la couleur, 2010) en mettant de l’avant que l’incarcération massive des Afro-Américains survenue après l’abolition de l’esclavage aux États-Unis est un backlash, une réaction et une manière de soustraire cette tranche de la population à une pleine participation civique, politique et sociale.
Les slogans tels que #AllLivesMatter et les qualificatifs de « racisme anti-blanc » envers le mouvement #BlackLivesMatter sont des réactions défensives qui ne privilégient pas un mode d’écoute, d’empathie et de dialogue entre les deux camps
Lorsque des individus refusent de reconnaître l’oppression qui persiste toujours envers les personnes racisées sur la base de leur « race », ils font preuve d’un aveuglement irresponsable. Ce n’est pas parce que l’on ne vit pas soi-même une réalité qu’elle est inexistante pour notre voisin. Les slogans tels que #AllLivesMatter et les qualificatifs de « racisme anti-blanc » envers le mouvement #BlackLivesMatter sont des réactions défensives qui ne privilégient pas un mode d’écoute, d’empathie et de dialogue entre les deux camps. Cette approche défensive bloque toute forme de progrès et ne règle rien du tout. Pire encore, elle ne fait qu’aliéner les souffrances de ces communautés en ne reconnaissant pas les torts qui leur sont faits sur la base même de la couleur de leur peau. Plus encore, cette approche occulte le fait que le système empêche aux minorités d’y avoir accès et brime la pleine participation citoyenne de ces communautés ayant un fort potentiel à l’ensemble des sphères de la société, et ce, pour le bénéfice de tous.
- Racisme systémique : production sociale d’une inégalité fondée sur la race dans les décisions dont les gens font l’objet et les traitements qui leur sont dispensés. L’inégalité raciale est le résultat de l’organisation de la vie économique, culturelle et politique d’une société (source : Barreau du Québec).
- The Bell Curve : Livre paru en 1994 par Herrnstein et Murray qui stipule que le QI serait un élément déterminant de caractéristiques comme les revenus, la criminalité, etc. Ils définissent une élite cognitive et abordent en particulier la question des différences d’intelligence selon l’appartenance ethnique, soit la thématique liée à la comparaison entre race et intelligence. Ce livre est hautement controversé car il serait un fâcheux exemple de racisme scientifique.
- Source : http://www.civilrights.org/publications/hatecrimes/african-americans.html