Les scientifiques s’entendent : pour éviter les effets négatifs des changements climatiques, il faudrait stabiliser les émissions de gaz à effet de serre à une limite acceptable de 400 ppmv. Cela représente une réduction de 70 à 90% des émissions par rapport au niveau actuel et ce, dès maintenant ! Mais comment donc y arriver ? Par le biais de recherches ? De nouvelles technologies ? De lois et mesures politiques ? De traités ou d’accords ? Le 5e symposium Lorne Trottier, qui se déroulait en novembre dernier à McGill, s’est penché sur la question : « L’ingénierie du climat ou atténuation : Comment éviter les effets dangereux des changements climatiques ? »
Le thermostat de la Terre
À l’heure où il semble impossible de freiner suffisamment les émissions de gaz à effet de serre, l’ingénierie de l’environnement peut paraître comme une option très intéressante. Il existe deux approches à la géo-ingénierie de l’environnement. La première consiste à capturer et enfouir le CO2 collecté ; la seconde, à manipuler le rayonnement solaire. Certaines techniques sont déjà en application, mais seulement à l’échelle locale, puisque « la technologie et les connaissances que nous avons dans ce domaine ne permettent pas leur application à grand échelle pour l’instant », explique M.Bruno Tremblay, professeur au département des sciences atmosphériques et océaniques de McGill.
La capture du CO2 est par exemple appliquée dans le cas de l’exploitation des sables bitumineux en Alberta ou encore dans la fertilisation des océans avec du fer, service qui a été développé par certaines compagnies qui opèrent en Californie dans le but de vendre des crédits de carbone à des industries contraintes de réduire leurs émissions. Parmi d’autres techniques de géo-ingénierie appliquées en ce moment, on retrouve le blanchissement des nuages, l’installation de miroirs dans l’espace, ainsi que le lancement dans l’espace d’aérosols stratosphériques.
Des effets secondaires imprévisibles
Puisque les lois qui dirigent la dynamique du système climatique sont encore mal comprises, les possibles effets négatifs de la géo-ingénierie de l’environnement pourraient surpasser ses bienfaits, selon trois des quatre panélistes présents au symposium. Un des intervenants, le professeur James Flemming, rappelle que ces possibles conséquences pourraient entre autres consister en des effets imprévisibles sur les régions éloignées, la poursuite ou même l’accélération de l’acidification des océans, l’appauvrissement de la couche d’ozone, des effets imprévus sur les plantes et sur les nuages, la diminution de la lumière disponible pour la création de l’énergie solaire, ainsi que l’irréversibilité de l’application de ces techniques. De plus, les coûts de l’application de techniques de géo-ingénierie à plus grande échelle restent indéterminés, tout comme la question du contrôle de ses mesures. « Qui aura la main sur le thermostat de la Terre ? », voilà ce que se demande le professeur Flemming.
Bien entendu, comme le professeur Tremblay le fait valoir, ces techniques « nécessiteraient des lois et des ententes internationales, puisque leurs répercussions dépassent les frontières conventionnelles des pays ». Ce qui est inquiétant, rappelle M. David Keith, professeur à l’Université de Calgary aussi présent à la conférence, c’est le fait que les experts ne possèdent pas pour l’instant l’information nécessaire pour développer les nouvelles régulations internationales qui seraient nécessaires.
Une discussion à suivre
Plus de 150 scientifiques, des quatre coins du monde, sont attendus en mars à Monterrey en Californie, pour tenter de mettre en place les principes qui encadreraient l’application à grande échelle des techniques d’ingénierie de l’environnement. Cette conférence est commanditée par un organisme sans but lucratif nouvellement créé, le Climate Response Fund, groupe qui a pour mission de promouvoir la discussion et stimuler le support à la recherche dans les interventions climatiques techniques et l’ingénierie de l’environnement.
Doit-on attendre qu’il soit (peut-être) trop tard pour se tourner vers des techniques comme la géo-ingénierie, ou doit-on plutôt apprivoiser cette technologie maintenant ? Cette approche risque-t-elle de constituer une béquille ou une excuse pour ne pas respecter les engagements de réductions d’émissions de gaz à effets de serres nécessaires et promises sous la plume de Kyoto et de Copenhague ?
Dans les mots du professeur Tremblay, « la capacité de l’homme à prévoir le futur et les changements dont il est capable est très faible ». Ce qui appelle à d’autant plus de vigilance.