« Ce n’est pas facile d’en parler, mais je pense juste que c’est important pour vous de savoir que c’est un problème social. J’ai grandi dans une réserve, je suis sûr que vous en avez entendu parlé mais ce n’est pas… c’est juste que ça me rend malade, les tactiques que l’industrie des oléoducs, les gens des oléoducs utilisent pour essayer de…d’avoir l’accord des chefs… ma famille, tous les chefs que je connais, ils ont vécu leur vie dans la pauvreté, et c’est dur de ne pas accepter l’offre de… de prendre l’argent et finalement pouvoir ne pas… ne pas… Je suis désolé je n’y arrive pas, mais c’est très éprouvant pour moi.»
Denzel Sutherland-Wilson est un étudiant en deuxième année d’études de gestion, il est mcgillois mais est aussi membre de la nation Gitxan. La nation Gtixan, le « peuple de la rivière », installée dans le nord de la Colombie Britannique, dépend pour sa survie de ces cours d’eau menacés par l’industrie des hydrocarbures, qui y construit ses oléoducs.
« Je peux vous dire que ces entreprises ne sont pas une chose distante dans le futur, elles ont déjà changé ma vie et celle de tout ma famille. J’ai pensé que c’était important pour vous de savoir cela, et si McGill est vraiment résolue à respecter les droits autochtones, alors elle doit désinvestir et prendre plus de mesures contre le changement climatique. Merci.»
La salle se lève alors que M. Sutherland-Wilson n’arrive plus à retenir ses larmes. L’ovation aurait été générale sans Mme la principale Suzanne Fortier, qui est restée immobile dans son siège.
Lassitude étudiante
Pour comprendre la genèse de cette scène qui, il faut l’espérer, résonnera longtemps encore à nos oreilles, il faut revenir plus de cinq mois en arrière, dans le bureau de Mme Fortier, accueillant des invités inattendus.
Ce 31 mars 2016, après trois jours de « sit-in » devant le bureau de Mme Fortier, neuf militants réussissent finalement à lui parler, alors que la principale revient juste de Californie. En protestatant contre le récent rapport de la CAMSR (Commission de conseil sur la responsabilité sociale, ndlr), ayant rejeté le désinvestissement car le changement climatique ne causerait pas de « grave préjudice social », les étudiants obtiennent la tenue de trois forums ouverts à tous, sur la question de la durabilité à McGill.
Vendredi dernier se tenait le premier de ces trois forums, dans la Moot Court du bâtiment de la Faculté de droit, sous la gouverne du professeur de droit Frédéric Bachand. Deux heures durant sont intervenus de nombreux étudiants, la plupart d’entre eux étant affilié à Divest McGill (Désinvestissons McGill, ndlr) de près ou de loin, ainsi que des professeurs et employés mcgillois.
Un thème refait surface à chaque intervention, celui de la collaboration entre individus et institutions. Comment des individus, les étudiants, peuvent-ils faire avancer une cause, celle de la lutte contre le changement climatique et pour le désinvestissement hors des énergies fossiles, sans le soutien de leur administration ?
Antonina Scheer, membre de Divest, regrette-t-elle que ce « faut dilemme » ait monopolisé les discours, il est selon elle évident qu’il fasse « s’engager pour accomplir les deux », efforts individuels et désinvestissement institutionnel. Pour faire progresser la durabilité à McGill, il faudrait dépasser cette opposition futile.
Une position intenable
Orateurs de tous bords font état d’un déficit de confiance étudiante en l’Université, et des difficultés qu’elle rencontre pour communiquer aux étudiants ses efforts en matière de durabilité, et les recours qu’elle leur offre pour y contribuer sur le campus.
Les émotions menacent de déborder parfois, comme lorsqu’une militante de Divest, la voix vacillante, s’en prend directement à Mme Fortier pour avoir ignoré des étudiants qui ne cherchent qu’à lui faire comprendre leur propre point de vue. « J’espère que ces forums résulteront en quelque chose, mais je n’y crois pas » dit-elle.
Pour faire la part de ces interventions passionnées, l’approche plus mesurée du professeur Greg Mikkelson, attaché au Département de philosophie et au Collège de l’environnement, est la bienvenue. Professeur Mikkelson s’arrête sur deux points : le support majoritaire des corps étudiants et professoraux en faveur du désinvestissement, et la réalité indéniable des dégâts sociaux du changement climatique, que le rapport de CAMSR nie.
En vue de ces deux éléments, il lui semble que la « communauté mcgilloise mérite mieux » qu’une administration qui fait fi du bon sens et des demandes de la grande majorité.