De toutes les thèses utilisées pour expliquer notre rapport conflictuel à l’environnement, l’une d’entre elles semble particulièrement irrésistible. Il s’agit de celle du désenchantement du monde, formulée, entre autres, par le sociologue allemand Max Weber. Cette théorie postule que la science et le rapport rationaliste au monde qu’elle implique nous ont privé de notre capacité à nous émerveiller face à la magie du monde naturel. La science aurait objectivé ce qui était autrefois perçu comme un mystère. D’une relation respectueuse, spirituelle et directe avec l’environnement, fondée sur un sentiment d’appartenance à l’écosystème, nous aurions adopté une approche instrumentaliste de la nature, motivée par l’individualisme et le profit. Les forêts sont réduites à des ressources en bois, les océans à des viviers pour production massive de thon en boîte. Avec le recul de la spiritualité viendrait la désacralisation du monde.
Princesse Mononoké, film d’animation réalisé par Hayao Miyazaki, peut permettre d’illustrer les écueils de ce rapport au monde décriés par Weber.
Exploitation contre protection
Frappé d’une malédiction par un sanglier devenu démon, le jeune Ashitaka est sommé de se rendre à l’ouest afin de comprendre les raisons de sa damnation. Il y rencontre Dame Eboshi, cheffe du village des forges. Cette dernière met tout en œuvre pour se débarrasser des dieux qui peuplent la forêt environnante afin de mieux l’exploiter. En s’attelant à cette tâche, elle a provoqué la colère des divinités de la forêt qui essayent désespérément de la protéger. Alors qu’elle projette de tuer le puissant dieu-cerf afin de revendre sa tête magique à l’empereur, Ashitaka rejoint San, une humaine misanthrope élevée par des dieux-loups. Ils s’allient pour faire entendre raison à Dame Eboshi, refusant de voir en la forêt autre chose qu’une source de profit. Lorsqu’elle parvient enfin à décapiter le dieu-cerf, la forêt s’éteint avec lui. Ashitaka et San s’efforceront alors de rétablir l’équilibre préexistant et de sauver un écosystème en phase d’être irrémédiablement détruit.
Princesse Mononoké peut donc être lu à travers le prisme de la thèse de Weber. Le film dépeint en effet un conflit idéologique entre une vision spirituelle, respectueuse et holistique de la nature, imprégnée de shinto, et le danger d’un rationalisme destructeur. À ce titre, il met en garde contre une approche matérialiste de l’environnement, dissociant les êtres humains des écosystèmes dont ils font partie.
La science est-elle coupable ?
Si, comme le démontre Miyazaki, la réduction de l’environnement à une ressource commerciale est détestable, il semble cependant illusoire de réduire la science à une méthode raisonnée de destruction du monde comme le suggère Weber. D’une part, si elle est essentielle à la constatation des transformations actuelles de l’environnement et à la lutte contre sa dégradation, cette approche recèle également son lot de poésie. En 1984, l’astrophysicien et écologiste Hubert Reeves dévoilait dans son ouvrage Poussières d’étoiles que nous partagions avec les arbres, les roches et l’ensemble du monde vivant la même qualité, celle de descendre des astres et des atomes qui les composent. L’ensemble des éléments qui nous constitue aurait en effet été engendré pour la toute première fois au cœur d’étoiles vieilles de milliards d’années. De quoi redéfinir notre rapport à l’écosystème. L’astronomie partage avec d’autres disciplines scientifiques la capacité de nous faire changer d’échelle et de tourner en ridicule notre anthropocentrisme et nos velléités de contrôle du vivant. La géologie nous donne le vertige, l’entomologie nous révèle le charme du minuscule.
Plus que la science, qui s’attache avant tout à comprendre et découvrir, c’est le caractère éthique (ou non) de son utilisation qu’il s’agit d’interroger. Il semble possible de réconcilier les antonymes et de parvenir à adopter une perspective environnementale respectueuse et multidisciplinaire, à la fois scientifique et holistique. La rationnelle Dame Eboshi est certes punie pour son instrumentalisation de la nature, mais jamais frappée d’anathème. Dans les films d’animation comme dans la réalité, il est toujours l’heure de changer son rapport au monde.