« Trump Président » : Ce qui résonnait autrefois, raisonnerait-il maintenant ? Inclassable, imprévisible, inquiétante : ce ne sont là que quelques-uns des termes que l’on pourrait utiliser pour décrire la candidature de Donald Trump à la présidence américaine. Cette figure ambivalente — que l’on déteste admirer — fait sourire, peur, ou encore pleurer. Il surprend quotidiennement un public rétif à la politique ou bien, au contraire, un public pour qui la politique est centrale. Dérapages, insultes et simplifications détrônent toute argumentation crédible — logique menant à une course à la présidence rythmée de querelles sur des courriels manquants, sur des lieux de naissance ou encore sur des histoires de reines de beauté.
Le personnage, dont les reniflements, les cris et les divagations deviennent marques de commerce, s’enthousiasme sur les glissements de terrains passés, sur des failles médicales de la candidate adversaire, tout en scandant « she’s guilty as hell ». Son utilisation d’un vocabulaire familier et simple amplifie les interrogations multiples concernant sa crédibilité : comment est-ce qu’un homme, avec une personnalité aussi surprenante a‑t-elle pu connaître une telle ascension politique ? Finalement, quel genre d’individu a l’intention de donner son vote à Trump ?
Un électorat souhaitant un renversement politique profond
Si le candidat sort de la norme avec un programme politique radical, c’est précisément ce qui caresse un électorat assoiffé de changement : le candidat incarne un goût du renouvellement, une envie d’aventure. Parmi toutes ses mesures, la plus commentée et critiquée reste la construction d’un mur entre le Mexique et les États-Unis « pour protéger tous nos ports d’entrée » détaille le programme. Ainsi, « le mur à la frontière doit couvrir l’intégralité de la frontière sud et doit suffire à stopper le trafic des véhicules et des piétons ». L’Histoire nous a montré que la construction de murs n’a jamais été synonyme de paix — le mur de Berlin a cristallisé le monde pendant près de 30 ans et le mur séparant l’Israël de la Palestine est plus que jamais source de conflits. Le droit de posséder et de porter une arme est une autre de ses mesures phares : la convention républicaine l’affirme, c’est un « droit naturel et inaliénable antérieur à la Constitution et assuré par le 2e amendement », un « droit donné par Dieu à l’autodéfense ». Cette mesure attire deux électorats distincts : un électorat religieux que la comparaison divine interpelle et un électorat diversifié prônant la possession d’armes et qui représente environ 31% de la population. Tutoyant l’absence de politiquement correct, Trump est l’image de la désinvolture même. Loin des poses alambiquées de ses voisins, il reste simple, populiste, flattant ainsi un public dont le seul désir est le changement.
Dan Bell, un éleveur de bovins de l’Arizona, met en lumière le dualisme de Trump. Ce propriétaire de ranch stéréotypique — forte carrure, yeux bleus, chapeau de cow-boy et franc — voit souvent sa propriété piétinée par des migrants illégaux et des trafiquants de drogue. Pour lui, M. Trump représenterait un retournement à la fois politique, économique et social nécessaire. Néanmoins, l’homme reconnaît qu’« évidemment, il y a des choses que j’aurais préféré qu’il ne dise pas », montrant un regret vis à vis de quelques-uns de ses discours. Dan Bell symbolise ainsi l’électorat de Trump : une volonté de métamorphose sociétale couplée à des remords quant aux décalages du candidat.
Des électeurs trahis par le rêve américain et l’establishment
Sa réussite est antinomique à l’establishment qu’incarne son adversaire principale Hillary Clinton — une politicienne de longue date attachée à l’ordre établi et à ses privilèges. Cette réussite est tout à fait alignée avec ceux se sentant trahis ou abandonnés par le rêve américain. Donald semble personnifier l’« outsider » relativement à l’ensemble des autres personnalités politiques.
Loin des poses alambiquées de ses voisins, il reste simple, populiste, flattant ainsi un public dont le seul désir est le changement.
Paradoxalement, sa mesure phare a pour effet indirect d’attirer un nombre conséquent de Mexicains, qui n’ont pas atteint le rêve américain, et pour qui la construction du mur représenterait un filet sécuritaire. Par exemple, à Tucson en Arizona, ville américaine à seulement 300 kilomètres de la frontière mexicaine, les partisans de Trump sont sortis du Palais des congrès telle une rivière rouge, blanche et bleue, le long des rives hostiles faites de manifestants. Lorsque Georges Saunders, du magazine The New Yorker, demande à un des partisans américano-mexicains ce qui le pousse à voter Trump, il répond : « Qu’est-ce que je fais ? Je soutiens un homme qui va nettoyer le Mexique, construire un mur et réparer l’économie ». Une analyse du Pew Research Center, un think tank américain, montre que le solde migratoire mexicain vers les États-Unis est négatif depuis la crise de 2009. Entre 2009 et 2014, 870 000 Mexicains sont entrés aux Etats-Unis. Mais dans le même temps, un million sont retournés au Mexique. Le rêve américain perd manifestement de son attrait, et la crise économique n’y est pas pour rien. Trump semble donc représenter le rêve américain, promettant l’éventualité d’une ascension sociale. Le cœur à s’ébaudir devant l’ode aux États-Unis énoncée dans son slogan « Make America Great Again », le candidat promet une rupture, un futur à tous ceux auxquels l’establishment leur reste en travers de la gorge, à tous ceux chez qui la peur de la mondialisation engendre un repli sur soi, une volonté isolationniste forte.
Autre électorat potentiel ? La classe moyenne, venant de la tradition conservatrice, mais ne s’inscrivant pas dans une lignée traditionnelle du conservatisme. Il est moins patient : quelque chose le dérange et il en veut son arrêt immédiat, mettant tout moyen à l’œuvre. Il semble plus endoctriné par la télé-réalité et Fox News que par Goldwater et Reagan. Sa compréhension de l’histoire récente est sélective ; il est moins ancré religieusement et tolère les excès racistes et misogynes de Trump, renonçant aux subtilités.
Ainsi, l’élection américaine laisse le monde dans l’appréhension, dans le suspense, voire dans l’inquiétude. Comment savoir qui remportera l’élection ? Si comme le montre The New-York Times Clinton a 613 façons — combinaisons des résultats fédéraux — de gagner la présidentielle, il n’en est pas moins que Trump en a 315, assez pour faire de lui un candidat potentiel ; le poids des swing states — États pivots — serait donc non-négligeable. Bien que beaucoup disent que le partisan typique de Trump est un homme blanc âgé avec un niveau de scolarité inférieur à la moyenne, la réalité est qu’il est impossible de décrypter un profil-type Trump. Son remodelage politique marqué par une relation symbiotique entre le candidat, les réseaux sociaux et un culte de la personnalité fait que l’ère post-Trump couvrira une politique avec une mise en scène plus théâtrale, à la demande de spectateurs avides de gossip.