Les plumes journalistiques ne cessent de s’agiter depuis qu’on a révélé il y a quelques jours qu’un journaliste de La Presse, Patrick Lagacé, bien connu du lectorat québécois, a été mis sous écoute par le Service de Police de la Ville de Montréal (SPVM) afin de connaître les sources de ses informations. Les forces policières de Montréal ont effectivement fait des démarches judiciaires afin d’obtenir des mandats de surveillance électronique visant Patrick Lagacé, leur donnant ainsi accès aux registres téléphoniques du chroniqueur, et le pouvoir de le géo-localiser en tout temps grâce au GPS intégré dans son téléphone cellulaire.
Pointé du doigt, le chef du SPVM, Philippe Pichette, s’est défendu en affirmant qu’il s’agit là d’«un cas exceptionnel », ces mesures ayant été prises afin d’enquêter sur cinq policiers du SPVM soupçonnés de fabrication de preuves et donc d’entrave au bon déroulement de diverses enquêtes. À peine quelques jours après cette révélation scandaleuse, voilà que l’on apprend que d’autres journalistes de renom, notamment Alain Gravel, Isabelle Richer et Marie-Maude Denis, ont également été épiés au cours des dernières années, cette fois par la Sureté du Québec (SQ). Ces multiples révélations d’espionnage ont ainsi mené plusieurs journalistes à s’indigner et dénoncer une véritable « chasse aux sources journalistiques ».
En quoi est-ce problématique ?
La confidentialité et la protection des sources journalistiques est d’une importance capitale sans quoi les journalistes ne pourraient exercer leur travail et bien des informations d’intérêt public demeureraient secrètes ou inexplorées. Évidemment, personne n’irait parler aux journalistes s’ils ne pouvaient avoir la certitude que leur identité est bien protégée. Ces récentes révélations d’espionnage ébranlent les fondements même de notre démocratie en portant atteinte à la liberté de presse, qui, elle-même, protège le droit du public d’être informé de toute situation relevant de l’intérêt public.
Par ailleurs, dans une société où l’information abonde et circule de plus en plus rapidement, les scoops et l’exclusivité de nouvelles entretiennent la compétition entre les différents journaux et autres relayeurs d’information. Ainsi, une divulgation incessante des sources journalistiques ébranlerait également la machine journalistique moderne.
Enfin, alors qu’aucune allégation ne pesait contre M. Lagacé (comme n’importe quel autre journaliste épié, d’ailleurs), une juge de paix a autorisé le SPVM à étudier les sources du journaliste sans même les lui demander en premier lieu. Jamais le chroniqueur de La Presse n’a eu à refuser de partager ses sources ; le corps policier se les est librement appropriées. La Cour suprême du Canada a pourtant statué que « les Canadiens peuvent raisonnablement s’attendre à la protection de leur vie privée à l’égard des renseignements contenus dans leurs propres ordinateurs personnels ».
Réactions à tous les niveaux
Suite aux récentes révélations, les trois paliers du gouvernement canadien n’ont pas manquer de réagir à l’écoute électronique de plusieurs journalistes québécois. Au fédéral, le Premier ministre Justin Trudeau a dit suivre l’affaire de près et a voulu se montrer rassurant en affirmant qu’aucun journaliste n’a été épié par le corps policier et le service de renseignements tombant sous sa juridiction, à savoir la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS).
Au provincial, le gouvernement libéral de Philippe Couillard, scandalisé par cette attaque à la liberté de presse, s’est empressé d’annoncer de nouvelles mesures visant à renforcer la protection des sources journalistiques. Il prévoit notamment une enquête visant à resserrer les critères des mandats de surveillance afin que les journalistes soient soumis aux mêmes exigences et critères que les avocats, juges et députés québécois.
Enfin, au municipal, le maire de Montréal, Denis Coderre, a quant à lui qualifié cette pratique d’«inacceptable », mais a néanmoins réitéré sa confiance envers le chef du SPVM. Il a aussi profité de son passage à l’émission Tout le monde en parle dimanche dernier pour annoncer la création d’un comité qui enquêtera sur les pratiques du SPVM et qui sera piloté par l’inspecteur général de la Ville de Montréal, Me Denis Gallant.
Il ne faut pas non plus oublier que ces révélations ont également retenti jusque dans l’enceinte de notre chère université, le célèbre lanceur d’alertes Edward Snowden ayant qualifié l’espionnage de journalistes comme étant une « attaque radicale à la liberté de presse » lors de sa vidéoconférence à McGill le 2 novembre dernier.
Tout bien considéré, on évoquera dorénavant ces épisodes d’espionnage électronique en se référant à « l’affaire Lagacé» ; elle aura prouvé qu’il existe une opposition inévitable mais nécessaire entre la protection des sources journalistiques et les enquêtes policières, toutes deux aussi essentielles au bon fonctionnement de la démocratie.