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Le chassé chassant le chasseur

Lorsque le journalisme police la police.

Robin Edgar

Le 31 octobre dernier, on apprenait que plusieurs journalistes, notamment le chroniqueur Patrick Lagacé, avaient fait l’objet de surveillance électronique par le Service de Police de la Ville de Montréal (SPVM), marquant la fin d’une insouciance des journalistes vis-à-vis de leur liberté de presse et la protection de leurs sources. Imaginait-on jamais, en tant que journaliste au Québec et au Canada, se faire espionner de la sorte par les autorités ? 

Dans la foulée de ces révélations, l’Institut d’études canadiennes de McGill organisait le 10 novembre dernier une conférence intitulée Affaire Lagacé : A Free Press in the Surveillance State (Affaire Lagacé : une presse libre dans un État de surveillance, ndlr). Étaient invités Yann Pineau, directeur principal du journal La Presse, Caroline Locher, directrice générale de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ), Mark Bantey, spécialiste du droit des médias, et Fabien Gélinas, professeur en droit à l’Université McGill.

Naïveté et insouciance dissipées

La stupéfaction était totale lorsque la communauté journalistique québécoise a appris que certains journalistes du Québec avaient été épiés, et ce, depuis plusieurs années. «[Dès lors], on ne pouvait plus avoir confiance en personne et il fallait redéfinir les règles du jeu car, de toute évidence, nous n’avions pas la même compréhension que plusieurs joueurs importants de la société » a déclaré monsieur Pineau, scandalisé par l’espionnage de son chroniqueur-vedette Patrick Lagacé. Madame Locher, reconnaissant que les journalistes avaient peut-être été naïfs de croire que leurs sources étaient bien protégées, en a profité pour affirmer que ce n’est pas seulement la liberté de presse des journalistes qui a été brimée, mais aussi le droit du public de connaître des informations d’intérêt public : « Il ne s’agit pas uniquement de donner un privilège aux journalistes ; il s’agit de protéger l’intérêt du public et de tenir les autorités publiques responsables de leurs actions.»

Des doutes partagés

Une chose était claire, tous s’entendaient pour dire qu’il fallait impérativement enquêter sur les arguments qu’ont avancés les forces policières aux magistrats pour justifier l’obtention de mandats de surveillance, et qui demeurent à ce jour secrets. Rappelons que de tels mandats sont exceptionnellement décernés à la police lorsqu’il est raisonnable de croire qu’une surveillance électronique pourrait confirmer des soupçons d’activités criminelles. Seulement, dans le cas précis des journalistes, le demandant doit présenter une démonstration supplémentaire : expliquer en quoi la surveillance du journaliste contribuerait à la surveillance de sa source, soupçonnée d’avoir commis un crime. 

Maître Mark Bantey se questionne donc à savoir si « cette surveillance a été mandatée pour découvrir la réelle perpétration d’un crime ou bien pour simplement connaître la source de fuite d’informations », cette dernière constituant une pratique illégale.

De possibles mesures ?

Questionnés par la directrice générale de la FPJQ et le directeur principal de La Presse sur des actions concrètes qui pourraient être mises en œuvre pour assurer la protection des sources journalistiques, messieurs Bantey et Gélinas ont affirmé que le Québec avait peu de pouvoir judiciaire puisque l’adoption d’une loi relèverait, dans ce cas précis, du droit criminel et donc du fédéral.

A également été souligné que l’espionnage de journalistes au Québec n’est pas seulement un problème légal, mais aussi culturel. Les deux représentants de la communauté journalistique se sont étonnés du travail qu’il reste visiblement à faire en termes d’éducation des corps policiers, accusant ceux-ci d’avoir enfreint des limites juridiques qu’ils connaissaient assurément.

Somme toute, cette histoire entourant la chasse aux sources journalistiques au Québec est loin d’être terminée, mais l’on ressent déjà un véritable changement de mentalité du côté de la communauté journalistique, qui est devenue beaucoup plus méfiante des institutions gouvernementales. 


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