La brume est encore dense lorsque Judith, étudiante en neuroscience de 3e année, sort de son appartement rue Aylmer pour aller en cours. Comme chaque mardi et jeudi, elle se demande pourquoi elle s’est inscrite à un cours qui commence à 8h30. Elle resserre son manteau — nous sommes en plein mois de janvier. Par habitude, elle sait que le froid ne lui sera pas clément. Judith continue d’avancer, fait quelques pas et se rend soudain compte que quelque chose ne tourne pas rond.
Là, devant elle, une personne marche avec son manteau ouvert, parlant au téléphone « J’ai même pu prendre mon petit dej’ dehors ce matin. En plein soleil, il fait assez chaud ». Un peu plus loin, elle aperçoit même son ancienne colocataire Jeanne, la Parisienne, portant un simple petit caban noir, « elle qui pourtant se jette sur sa Canada Goose dès que le mercure tombe en dessous de ‑3°C. Ça ne va pas s’affole Judith en son for intérieur ». Elle persiste toutefois, et continue d’avancer en direction de McMed, observant les étranges phénomènes qui l’entourent.
Tout à coup, un frisson lui parcourt l’échine — et il n’est pas causé par le froid, bien au contraire. Judith se rend compte qu’elle peut sentir son visage. « Je pouvais le sentir, et même ouvrir ma bouche sans résistance de mes joues. C’était terrifiant » avouera-t-elle plus tard au Délit. Prise de panique, elle court se réfugier dans le souterrain le plus proche. « Là au moins, je serai à l’abri » se dit-elle. Elle se saisit de son téléphone avec détermination.
Clac. La porte d’entrée se ferme bruyamment derrière Olivier, étudiant en géographie de 2e année. Comme tous les matins, il se prépare à glisser au moins une petite dizaine de fois en marchant jusqu’à son cours. Il pose le pied sur la dernière marche de son perron, s’attendant à glisser par terre, ferme les yeux, pourtant le contact avec la neige glacée, solide, ne vient pas. Surpris, il pose un second pied un peu plus loin. « Là, j’étais sûr que j’allais tomber rapportera-t-il au Délit. Et pourtant, je suis bien resté debout ». Conscient de l’incongruité de la situation, il regarde autour de lui. Les trottoirs n’étaient plus blancs, mais gris. Pas gris de neige sale, non, gris béton. « Par endroits même, le béton semblait sec. J’étais horrifié ! Il y avait même des gens qui courraient sur le trottoir. J’ai essayé de les arrêter mais ils sont partis trop vite. Je ne sais pas s’ils sont toujours en vie…» nous confiera-t-il, la voix encore chevrotante.
Les premières réactions
Interrogée par Le Délit, Judith revient sur le coup de téléphone qu’elle a passé à Chloé, son amie.
« C’est vraiment l’appel qui a tout confirmé. J’avais déjà un mauvais pressentiment. Quand j’ai demandé à Chloé de regarder la météo sur son téléphone j’ai entendu qu’elle l’avait lâché. Je me suis dit, là on est vraiment mal. Puis elle a repris le téléphone, elle pleurait. Je lui ai demandé combien il faisait et elle m’a dit +4°C. Une température positive ! En janvier ! Je ne savais pas quoi faire, j’étais terrorisée. Je me suis dit qu’il fallait avertir les autres avant que ce ne soit trop tard. J’ai contacté Le Délit immédiatement. »
Quelques minutes plus tard la nouvelle fait la une :
Flash Info : Les températures seraient positives. Suzanne Fortier doit s’exprimer en direct d’ici quelques minutes.
Arrivée dans le bureau, elle aperçoit la principale, sobre et déterminée. Les caméras s’allument, et sa voix résonne bientôt dans tout le campus.
« Mes chers élèves, certains d’entre vous aurons déjà remarqué que les températures sont positives. J’ai le regret de vous annoncer qu’il en sera de même demain. L’heure est grave, et je vous demande à tous de rester soudés en ces temps de crise. C’est au travers de notre réaction que les générations à venir nous jugerons. Soyez aussi fort que les idéaux que vous incarnez. Toutefois, tout espoir n’est pas perdu. Après avoir consulté mes collègues au Département de météorologie, il semblerait que, dès vendredi, nous pourrions retomber dans les températures négatives, peut-être même jusqu’à ‑10°C. Gardez courage ! »
À ces mots, un hurlement d’espoir s’éleva du campus, les élèves en liesse jetant en l’air les Course Packs fraîchement achetés. « Là, on a compris qu’il fera froid » nous dit Judith, une larme de joie à l’œil, « tout n’était pas perdu, nous pouvions vivre normalement à nouveau. »