Il y a quelques semaines un compte de memes mcgillois «@spicymartletmemes » a fait son apparition sur la plateforme Instagram. Il y diffuse publiquement du contenu original et humoristique via un assemblage d’images et de textes sur la thématique de l’université. On y retrouve par exemple des photographies de Suzanne Fortier tout sourire, avec juste en dessous une mention de la date à laquelle sont publiées les notes des partiels sur MyCourses. Mais il y a aussi d’autres références moins légères soulignant la détresse de certains étudiants. Une de leurs publications reprend le meme assez répandu des « bingo de la dépression », ici sur le thème des examens, alors intitulé « le bingo des finals ». Ce type de meme est sur le modèle des cases d’un bingo mais contenant des références à des expériences liées au problème de santé mentale : si on coches toutes les cases, on gagne le bingo. Ici, il inclut des cases comme « pleurer dans un endroit public » ou des références à la détresse : « menacer de dropout ».
Le contenu de ce compte est donc essentiellement ce que la génération Y ou Z, les millennials désignent comme des memes. Malgré leur grande variété, l’objet de cet article sera plus précisément ces mèmes que l’on peut désigner comme objectivement tristes.
Des memes qui ne sont pas tous les mêmes
Les memes sont originellement des versions « culturelles » d’un pan de l’ADN. Le biologiste Richard Dawkins institua d’ailleurs ce terme en 1976 comme une idée, un comportement ou un style qui se répand de personne en personne, au sein d’une culture.Toute image peut, à peu près être un meme, puisqu’il s’agit avant tout de créer du contenu sur la base d’une culture, d’un ton, d’un humour ou d’un savoir en particulier. Ils sont plus précisément l’utilisation de tendances célèbres sur Internet dans le but d’exprimer une sorte d’affect, par le bais d’une photo, d’un tweet, ou de nouvelles.
C’est particulièrement le moyen des dits individus de la génération de ceux entre 18 et 25 ans de se réapproprier les normes et codes de la culture populaire. Ils les adaptent ainsi à leurs formes d’expression sur les différentes plateformes d’Internet. Un peu à la manière d’un journal intime d’un autre temps, les memes laissent une trace des préoccupations de cette génération. Les memes circulent ainsi sur Twitter, Facebook, Instagram, Reddit : partout où cette génération est en contact et peut se permettre l’utilisation de médias visuels. Cependant le principe de la création d’un meme et de son existence est qu’il fera écho aux préoccupations d’amis, de connaissances, de followers, et qu’il sera ainsi partagé : personne ne fait des memes pour soi-même. Par nature, ceux-ci sont en compétition au sein de notre fil d’actualité pour notre attention. On ne retient souvent que ceux qui nous évoque quelquechose de particulier et auxquels l’on peut s’identifier.
personne ne fait des memes pour soi-même.
Le stress, sujet de prédilection
Les sujets des memes peuvent donc différer. On voit cependant à travers l’exemple de ce compte mcgillois, ou plus largement des grands comptes de diffusion de contenus possédant des millions d’abonnés sur Facebook, que les sujets du stress, de la dépression et la négativité en général sont devenus des sujets dominants dans les memes. Ils témoignent d’une détresse collective, particulière, personnelle ou impersonnelle — estudiantine par exemple. Nous sommes dans une décennie, et venons de passer une année particulièrement difficile au niveau politique, social, médiatique et culturel, générant un sentiment d’impuissance et d’incertitude. Des nouvelles que l’on ne peut éviter considérant l’hyper connectivité ambiante, et pour cette génération en particulier. Les memes se nourrissent de toutes ces sources : ils produisent donc des sujets qui reflètent le mal-être ambiant. Mais pourquoi tout un chacun peut-il s’y identifier de manière aussi intense et partager, répandre, ainsi, ces memes aussi négatifs et tristes plutôt que d’autres positifs ?
Une explication anthropologique
Chris Chesher, professeur en cultures digitales à l’Université de Sydney, explique la place de ces mèmes dans la société comme étant une répétition du concept du punctum, au sens du sociologue Roland Barthes. Dans ses propres mots « Le punctum d’une photo est ce hasard qui me point (mais aussi me meurtrit, me poigne)» explique-t-il dans La Chambre Claire en 1980.
Les sujets potentiellement à l’origine de ce stress pour chacun sont extériorisés et exprimés sur les réseaux sociaux via les memes.
Les memes ne sont évidemment pas tous des photos, mais se rapportent toujours à quelque chose de visuel. C’est cela qui touche le spectateur en son cœur en lui présentant des expériences communes, des situations quotidiennes que la plupart d’entre nous affrontent dépendamment de la communauté à laquelle ils appartiennent. Par exemple, pour des étudiants mcgillois, ce seront les 3 examens finaux en deux jours, ou des exigences de GPA impossibles à atteindre. Un meme révèle en fait quelque chose que des individus peuvent déjà avoir ressenti sans pouvoir véritablement l’articuler. De c ette manière, ils s’y identifient et cherchent à ce que d’autres fassent de même.
Ainsi les sujets potentiellement à l’origine de ce stress pour chacun sont extériorisés et exprimés sur les réseaux sociaux via les memes. Ce processus s’applique à tout un chacun, mais aussi aux célébrités qui assument publiquement d’annuler leurs tournées, ou présences publiques pour raison de santé mentale et non plus simple « fatigue » : c’est en définitive aussi un processus de vulgarisation de ce sujet tabou.
Un mode d’expression au bilan finalement positif ou plus mitigé ?
En rapport avec le stress et la dépression, cela peut d’abord être un moyen d’identifier, puis d’exprimer et d’extérioriser pour soi-même ce qui cause ces expériences. Faire sortir au grand jour, publiquement et avec l’aussi grande audience que chacun peut avoir sur les réseaux sociaux, ce qui a besoin de l’être. Pouvoir s’exprimer sur le stress dont on est atteint est une bonne chose. Se reconnaître dans ces memes-là est-il cependant inquiétant et doit-il être un sujet de préoccupation pour sa propre santé mentale ?
Toutes les maladies et problèmes de santé mentale ne peuvent évidemment être analysés aussi simplement que par une réduction à de simples memes. Cependant, il faut considérer avec précaution l’utilisation aussi simpliste et fréquente de ce média : la vulgarisation est positive mais aussi souvent ironique, suivie de lol ou d’émoticônes rieurs. Le ton et le format viennent aussi souvent de la frustration, et cela peut avoir un impact différent selon les personnes visées. Appliquer l’ironie à soi-même, est-ce vraiment au bénéfice de ces troubles ? Pourrait-on alors attribuer à Internet en général le titre de catalyseur de soutien social moral via ces memes ?