Lorsque l’on m’a demandé d’écrire sur l’identité noire, j’ai longuement hésité. Je suis née et j’ai vécu pendant 18 ans au Sénégal. Autant dire que pendant 18 ans, je ne me suis que très peu arrêtée sur la question de ma couleur de peau. C’est vrai, qu’après tout, je faisais partie de la norme. En arrivant à McGill, j’ai très vite réalisé que ce n’était plus le cas : qu’il s’agisse des exécutifs du Black Student Network me prenant la main durant Orientation day en promettant de me donner le numéro d’une tresseuse — Saint Graal en terre occidentale — ou encore de la dizaine de regards qui se tournaient vers moi pendant le race workshop de ma résidence, oui, décidément, je me suis retrouvée entourée de signes clignotants : « Tu es noire ». Ce serait mentir que de dire que c’est une étiquette que j’ai refusée, non, je l’ai adopté et j’ai mis un pied dans cette communauté Mcgilloise. Ethiopie, Barbades, Kenya, Canada, États Unis… j’étais fascinée à l’idée d’échanges avec des gens si différents, mais pourtant si similaires. #BlackLivesMatter, panafricanisme, Black History Month… j’étais captivée par cette soudaine politisation de ma couleur.
Une culture noire universelle ?
Alors que parler de culture « blanche » ou « asiatique » m’avait toujours paru ridicule, j’ai toujours eu des difficultés à démentir l’existence d’une culture « noire ». Mais c’est durant ma première année à l’Université que je me suis réellement interrogée sur l’existence d’une culture « noire » possiblement universelle. À McGill, je me suis retrouvée face à une communauté d’individus aux parcours de vie radicalement différents. Mais ils parlaient de leur enfance comme s’ils avaient grandi dans la même ville, ils écoutaient la même musique et se passionnaient pour les mêmes causes… et pourquoi ? En quête de réponses, j’ai donc demandé autour de moi.
Pour Reem Bushara, étudiante de deuxième année en provenance des Bermudes, la réponse est sans équivoque : « Oui, la culture noire existe, et cela je ne l’ai réalisé qu’en venant m’installer ici. Je me suis rendue compte que mes expériences que je considérais comme typiques de la vie bermudienne noire était en fait partagées et comprises par tous mes amis noirs à Mcgill, qu’importe la nationalité. Je pense que nous sommes tous influencés par notre éducation, et alors que nos origines sont différentes, nos modèles d’éducations eux sont très similaires ». Il s’agirait donc en réalité de certaines valeurs et attitudes universellement transmises dans les communautés noires, et ce, notamment à travers l’éducation au sein du foyer. Parmi les exemples cités figurent souvent l’attitude face aux aînées, une notion de famille qui s’éloigne de la cellule mononucléaire, ou encore des expériences de vie aussi banales que celle du salon de coiffure.
En échangeant avec ces étudiants noirs, je me suis néanmoins rendue compte de la réelle division entre Africains et Africains-Américains. Ginika Ume-Onydo est nigérienne, mais est née aux États Unis et a passé une grande partie de sa vie à Toronto. Lorsqu’elle est arrivée à McGill, elle a ressenti une réticence de la part de la communauté africaine à la considérer comme l’une des leurs. Selon elle, les africains forment une microsphère au sein de la communauté noire mcgilloise qui a parfois des réticences à s’associer avec ceux qui ont été élevés en Occident.
La culture « noire » serait donc moins homogène que l’on ne le croit. Selome Gizaw est éthiopienne et a vécu entre Washington et Addis Ababa. Pour elle, la culture africaine ne fait pas partie de ce qui est vu aujourd’hui comme la culture noire : « On ne peut parler d’une culture noire homogène qu’en Occident, ici on projette sur nous de manière implicite qu’on est noir et qu’on devrait se comporter et agir comme tel. Même si tu viens d’Afrique, en arrivant ici, tu vas finir par t’associer à la culture afro-américaine et l’assimiler mais ça n’a rien à voir ». Elle ajoute aussi que « parler d’une culture noire de manière générale laisse aussi la porte ouverte à l’appropriation au sein même de la communauté. En tant qu’éthiopienne, que tu sois noir ou blanc, je ne vais pas apprécier de te voir te balader dans un habit éthiopien par effet de mode. Du coup, je ne parlerais pas d’une culture noire mais peut être bien d’une connexion noire ».
Pour beaucoup, McGill représente ainsi le point de départ de leur fierté noire. Un sentiment qui cohabite toutefois avec une certaine culpabilité : celle de sembler communautariste.
L’émergence d’une conscience noire.
Il y a en effet des différences à l’intérieur de la communauté noire que j’ai moi même ressenties, mais que j’ai vu se manifester davantage sur le plan de la « conscience noire » que sur le plan culturel. En parlant avec d’autres personnes venant de pays majoritairement noirs, nous nous sommes rendus compte que venir ici nous a soudainement confronté à une conscience et une politisation de notre couleur de peau. Alors que notre identité se définissait principalement au travers de notre nationalité, la question de race est tout à coup entrée en jeu. S’engager, avoir une voix politique, combattre…Entourée par des personnes ayant vécu des situations de marginalisation, à McGill c’est la fièvre au corps que l’on s’est mis à dessiner des poings levés et à cliquer « Intéressée » sur Facebook à tout les événements « Black Talk », « Black Panel », « Black 5 à 7»…Jusqu’au moment où la question s’est posée : « Too Black ? Too Proud ?». Avons-nous même cette légitimité, nous qui avons grandi dans un environnement où nous n’avons jamais ressenti la différence ? Sheree Marshall vient du Kenya, elle dit sur son arrivée à McGill que « lorqu’on arrive içi on scande tous « Black Power » moi je n’ai jamais été exposée dans ma vie à une situation d’oppression, mais à McGill j’ai rencontré des gens qui l’ont étés. Même si parfois je me suis retrouvée submergée, je ne pense pas qu’il faudrait arrêter de parler de race. Juste parce que j’ai été assez privilégiée pour grandir quelque part où je n’ai jamais eu à être confrontée à ça, cela ne veux pas dire que l’expérience d’autres personnes n’est pas valide ». Une expérience qui m’est moi même inconnue, mais dont j’apprends un peu plus chaque jour, comme lorsque j’ai parlé à Chidera Ihejirika, Nigériane ayant vécu principalement à Alberta. Elle a vécu Mcgill comme une libération : « Je n’ai pas côtoyé de personnes noires en grandissant et en conséquence, pendant une partie de mon enfance, j’ai rejeté cette aspect de mon identité. Depuis, c’est comme si je me battais pour la reconquérir. Pour moi, c’est devenu très politique. En venant ici j’ai pu rencontrer des gens avec des expériences communes et cela m’a énormément aidée.»
Pour beaucoup, McGill représente ainsi le point de départ de leur fierté noire. Un sentiment qui cohabite toutefois avec une certaine culpabilité : celle de sembler communautariste. En écrivant cet article, je me suis ainsi rendue compte que le sentiment de gêne que je ressens lorsque je suis entourée uniquement de personnes noires est en fait partagé par l’ensemble de mes connaissances. Ensemble sur une table à Mclennan, assis sur Lowerfield, ou dans la ligne de Quesada, il y a toujours l’impression de dénoter, et il faut le dire : une certaine peur du regard de l’autre. Pour Selome Gizaw, ce sentiment est très intense : « Je me dis toujours que j’ai l’air de ne vouloir côtoyer que des personnes noires, ce qui est totalement faux. Ça me suis vraiment partout ». Aussi, pour beaucoup d’étudiants venant d’Afrique, changer de pays c’est devenir une minorité visible, et être confronté à un nouvel environnement ou l’on se retrouve contraint de redéfinir son identité.