Le Délit : 2012 fut votre 1er Grünt, pouvez-vous nous faire une présentation du concept ? D’où est venue l’envie du concept des freestyles ?
Jean Morel : J’ai toujours eu un peu de mal à définir exactement le projet de Grünt. Je le définis souvent comme une nébuleuse culturelle parce qu’on n’a pas cette barrière dans les formats. Après notre format de prédilection reste le freestyle. C’était à mon sens quelque chose qui n’était plus suffisamment représenté dans la culture rap en France. Tout d’abord dans la qualité sonore des Planète Rap, et puis y’avait pas assez de micros ouverts pour les MCs.
J’avais vraiment envie que ce soit une performance, ça dure longtemps, ça laisse la place à l’expression, tout en misant sur la qualité lyricale qui a toujours été dans l’ambition de Grünt. C’est dans ce registre là qu’on s’est lancés, tout en sachant pertinemment qu’on inventait absolument rien, parce que la culture du freestyle existait 30 ans avant que Grünt ne se lance.L’idée de base pour résumer Grünt, c’est de penser à un porte-voix. On met les moyens d’un média musical au service des gens qui ont envie de défendre la musique, et on le fait de manière complètement indépendante, on n’a jamais touché le moindre centime avec ça.
LD : Tu dis que vous ne partez de rien, vous avez quand même repensé le concept de toutes les productions très travaillées et dans un nouveau style ?
JM : Même si on l’a fait de façon très amateur au tout début, on avait le souci de la qualité et du respect de l’artiste qu’on invite. Beaucoup cherchent à inviter des gens parce que ça permet de faire du clic, du buzz etc. Parfois l’effort n’est pas fait pour que ce soit au niveau en terme de qualité. On a mis du temps à se mettre au niveau en terme d’image, mais on a réussi. Il a fallu des moyens et du temps pour réussir à obtenir du matériel, en vendant notre merchandising. Il y avait la volonté sur le son, dès le début, d’enregistrer, de retravailler beaucoup, de faire en sorte que ça ne sonne pas super rough, mais qu’on voit qu’il y a eu du boulot et que ça puisse s’écouter comme un morceau. Évidemment il reste quelque chose de brut de décoffrage. C’est quand même une performance artistique qui dure longtemps, une demie heure, il y a une prise de risque.
J’espère qu’un jour passer dans un freestyle de Grünt aura un impact sur la carrière des jeunes rappeurs
LD : Par rapport au choix des nouveaux artistes, vous en avez quand même accompagné, par exemple, Georgio qui est passé de débuter au Grünt 8 à lancer son E.P. avec le Grünt 11. Comment vous décidez de lancer ces jeunes talents-ci et de les accompagner vers ce qu’ils veulent faire dans le rap ?
JM : Alors d’abord j’espère qu’on a réussi à les accompagner et à avoir un petit rôle dans la carrière de ces personnes. Georgio, on est hyper heureux, c’est vraiment devenu un ami.
Ensuite sur le développement des artistes, on écoute des textes qui nous parlent, et on se dit, ce mec il est méritant, cette fille elle est méritante, il ou elle a sorti une mixtape qui est chanmée. À partir de là, on lui offre quelque chose qui peut le mettre en avant mais aussi qu’il doit prendre au sérieux. Dans la nouvelle génération de rappeurs, beaucoup nous disent, c’est ouf qu’on soit invités, nous on a écouté des Grünt, et on se retrouve là.
Le passage de génération est drôle, mais aussi il y a une relation de confiance qui s’est installée au fur et à mesure. On a aujourd’hui une certaine forme de légitimité à le faire, quand les gens viennent ils savent que c’est bien fait. La nouvelle génération parfois rentre dans nos radars, mais je suis sur qu’on passe à côté de pleins de choses. J’espère qu’un jour passer dans un freestyle de Grünt aura un impact sur la carrière des jeunes rappeurs, c’est vraiment ce qu’on voulait faire à l’origine.
LD : Vous avez commencé par faire un Grünt en Angleterre avec les amis de King Krule : comment s’est passée cette diversification et cet intérêt pour le rap anglophone ?
JM : J’arriverais même pas à l’expliquer, on s’est dit pourquoi pas essayer d’aller plus loin.
La définition même de notre envie de bosser c’était une ouverture d’esprit. On a fait ça à Londres avec Rejjie Snow etc. Même pour moi ça a été très important qu’on fasse ce voyage à Montréal, pour essayer aussi de confronter aux Français la scène aujourd’hui de rap montréalais.
On a essayé de réunir un maximum de MCs de la ville et on a enfin le Grünt de Bruxelles avec la plupart de la scène. On s’est réunis pour un freestyle de 50mn, pour le Grünt 33
Elle est intéressante dans son approche au travail sur la langue, le fait que les artistes soient bilingues leur permet d’expérimenter au niveau du flow. Je sais qu’en plus ça suscite un débat au Québec : artistiquement c’est hyper important de défendre ça. Le public français n’est pas du tout au fait de la créativité de Montréal en terme de rap. Ca fait exactement partie de notre démarche artistique : l’idée qu’on va pas donner au public ce qu’il attend. On pourrait faire des Grünt avec des gens qui sont devenus des amis, et faire beaucoup de clics. Je préfère la prise de risque, des freestyles qui n’auront pas forcément la même audience mais ceux qui vont écouter ça vont se retrouver face a quelque chose qu’ils ne connaissent pas, et pour moi c’est le rôle d’un média de manière générale.
LD : Vous avez fait donc un voyage à Montréal pour tourner les Grünt 29 et 30, avec les Dead Obies et Loud Larry Adjust, qu’est-ce que vous ca vous a alors apporté, de voir l’impact artistique et technique au niveau de l’utilisation de la langue ?
JM : J’ai été animé par la curiosité et confronté à quelque chose que je connaissais pas. J’ai pris du temps à tout capter, le slang de Montréal, l’argot. C’est extrêmement bien écrit pour la plupart, chez les Dead Obies et Loud Larry Adjust. J’écoute ces disques à fond dans mon bus à Paris quand je vais taffer, alors que je suis très loin de tout ça. Après aussi bien artistiquement que techniquement ce sont de très bons MCs, qui rappent de manière extrêmement pointue. J’ai en tête un couplet de Loud Larry : à un moment il fait un jeu de mot avec champagne killers, ce sont des choses qui sont possibles qu’en switchant d’une langue à l’autre. C’est quelque chose que le rap français ne nous apporte pas forcément. Y’a que le rap montréalais et son identité qui me permettent de faire ça.
LD : On a aussi le rap belge que vous suivez depuis 2012 et le Grünt 8 avec Lomepal et Caballero, qui monte un peu en puissance. Qu’est-ce que Grünt, qui s’y est intéressé au début, pense maintenant du rap Belge ?
JM : Sur la Belgique on a eu la chance d’être exposé tôt des le Grünt 8, du fait qu’on était déjà en contact avec Lomepal depuis longtemps. On a vu son travail avec Caballero du coup on a été confronté à cette scène, et on a tout de suite trouvé ça pertinent. Le rap belge a une diversité incroyable, Bruxelles c’est une ville rapologique qui est cool. D’ailleurs pour l’exclu : on a essayé de réunir un maximum de MCs de la ville et on a enfin le Grünt de Bruxelles avec la plupart de la scène. On s’est réunis pour un freestyle de 50mn, pour le Grünt 33. On a quelque chose d’assez anthologique qui s’apprête à sortir.