Toujours en tournée pour la présentation de son dernier spectacle L’Arracheuse de temps, Fred Pellerin a fait, vendredi dernier, un petit détour par Montréal pour parler de sa démarche artistique et semer un peu de magie dans nos quotidiens aseptisés. La salle très boisée du Cercle Universitaire (Faculty Club), où se tenait la rencontre, inspirait un respect presque solennel alors que la présence du conteur, fidèle à l’idée que l’on se fait de lui, appelait plutôt une fébrilité bon enfant.
Après une brève présentation de Robert Lalonde, Alain Farah s’est lancé dans une comparaison touchante entre la grand-mère de Fred et la sienne –comparaison s’articulant autour de la bouche édentée de l’une et de la dentition complète de l’autre– établissant ainsi un lien fraternel entre les oeuvres des petits- enfants. Entre deux gorgées de café, Fred a commencé à conter. Pris d’une irrésistible envie de se lever debout, il a expliqué à la tranquille audience d’où lui venait le désir de raconter et la manière dont il prépare ses histoires. Il a confié qu’il façonne ses récits de soir en soir, s’imposant parfois des contraintes langagières ou thématiques, et réajuste, transforme certains passages selon la réaction des foules. Il a avoué ne pas aimer rester dans « ses trails », et demeurer dans des zones déjà explorées et confortables. C’est ce qui le pousse à constamment se réinventer. C’est là aussi qu’il trouve son plaisir de conteur.
Sa grande originalité et ses récits mêlant humour et merveilleux, rendant la frontière entre le réel et la fiction véritablement floue, ne nous permettent pas de le classer dans une catégorie précise. Il n’est pas conteur au sens traditionnel du terme, surtout pas humoriste, mais cette situation ne le dérange pas le moins du monde. Au contraire, l’entre- deux lui convient bien.
Malgré sa peur de la fixité inhérente à la pratique de l’écriture, les livres et les spectacles de Fred Pellerin sont en fait des vases communicants qui, même s’ils s’opposent dans la forme, se nourrissent l’un l’autre. La langue se travaille différemment lorsqu’elle est placée dans un contexte où règnent la spontanéité et l’improvisation que lorsqu’elle est le fruit d’un effort de la rédaction, où l’on peut remanier les mots autant qu’il nous plaît, mais dont le résultat doit ultimement se réduire, se conclure à une construction figée sur papier. Quoiqu’il en soit, la langue de Pellerin, qui émousse la grammaire, poétise et déforme le réel, en est une « qui vernacule », donnant tout sons sens à l’expression qui qualifie la langue française de « langue vivante ».
C’est en réclamant une « petite dernière » (question) que la rencontre s’est close –trop rapidement–, nous laissant l’agréable sensation que cet ailleurs de « paparmanes » roses évoqué par Pellerin est sûrement réel. « Oui : Saint-Élie, ça existe vraiment ! »
À surveiller : la prochaine rencontre de « Tout doit apparaître », avec l’auteur et metteur en scène Olivier Kemeid et les acteurs de la pièce L’Énéide, adaptée d’après le texte original de Virgile. La discussion aura lieu après la représentation du 19 mars à 18h30 à l’Espace Libre.