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Le règne de l’uniformité

Comment les réseaux sociaux mènent à l’homogénéisation de l’esthétisme.

Mahaut Engérant | Le Délit

La modernité est un paradoxe. Alors que l’Homme se libère peu à peu du joug des stéréotypes associés aux genres et embrasse la diversité, il s’asservit sans hésitation à l’homogénéisation culturelle et à l’esthétisme uniforme et aseptisé que promeuvent les grands réseaux sociaux. La ville dans laquelle il se trouve n’a plus d’importance. Qu’il soit à Montréal, New York ou Amsterdam, l’Homme trouvera, sans le moindre doute, ce petit café aux murs de brique, où les lampes industrielles et les grandes ardoises noires côtoient des matériaux bruts et du blanc, beaucoup de blanc. On lui servira un latte torréfié maison et une viennoiserie végétalienne pour la modique somme de douze dollars. Le goût ne sera qu’un facteur secondaire, insignifiant. Après tout, si cela lui aura permis de faire un joli cliché pour son profil Instagram, il sera satisfait. 

Longtemps, on a critiqué la prolifération de la restauration rapide et des magasins à grande surface à l’échelle internationale. On criait à l’impérialisme culturel, à l’imposition du style de vie américain. Aujourd’hui, on reste muet. Pourtant, le problème n’est pas de moindre importance, bien au contraire. Ces commerces que l’on considère « authentiques » et qui définissent si une ville est « branchée » ne sont, au fond, que de pâles copies des uns et des autres. Ils sont tous indépendants, mais si semblables qu’ils pourraient former une chaîne. Nos villes, aliénées de leurs personnalités, se ressemblent de plus en plus et l’inconnu, lui, devient rare. Partout où l’on va, on peut retrouver ce même confort, et ce, dans un décor inchangé. Voyager devient progressivement inutile et le monde, lui, perd les couleurs qui le rendent si beau, si unique. 

Ils veulent se distancier de ce qu’ils considèrent comme la norme, mais n’en créent qu’une nouvelle

Ce n’est pas que l’environnement de l’Homme qui se conforme aux normes d’esthétisme imposées par les réseaux sociaux ; sa perception de ce qui l’entoure est également altérée. Il analyse les lieux, les objets et les aliments en fonction de leur capacité à plaire dans une petite photo de forme carrée et perd, ainsi, toute interaction autre avec ceux-ci. Son appréciation du monde n’est plus indépendante et libre ; elle est influencée par le dictat de la majorité. Tous les profils Instagram finissent par se ressembler : yaourt accompagné de fruits et de graines de chia, égoportraits, petites plantes sur des tables de marbre blanc et paysages urbains. C’est à croire que tous aiment les mêmes choses, que tous ont la même vie. C’est fade, c’est triste. 

Toutefois, le plus accablant, c’est que l’Homme lui-même n’est pas épargné par le règne de l’uniformité. Certains acceptent sans broncher, mais même ceux qui recherchent désespérément à se démarquer, à être différents, deviennent identiques entre eux. Ils veulent se distancier de ce qu’ils considèrent comme la norme, mais n’en créent qu’une nouvelle. C’est étrange comment tous ceux qui recherchent un style non conformiste finissent par ressembler à un profil Tumblr. Bien qu’il n’aime pas l’admettre, l’Homme peine à s’émanciper de la domination de l’esthétisme promue par les réseaux sociaux, et ce, peu importe le style qu’il souhaite adopter. Tant qu’il le niera, il lui sera impossible de s’affranchir et de préserver la diversité culturelle qu’il chérit tant. Tant qu’il le niera, il ne fera qu’alimenter le paradoxe de la modernité. 


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