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Du français du roy au français québécois

Petite histoire de la langue française au Québec.

Vittorio Pessin | Le Délit

C’est à l’époque de la colonisation française, de 1608 à 1763, que le français s’est développé au Québec. Alors que subsistaient en France de nombreux patois, au Québec le français est rapidement devenu un vecteur d’unification de la population. Langue des « filles du Roy », des orphelines spécialement envoyées pour peupler la colonie, mais aussi de l’administration, des tribunaux, et de l’éducation, le français s’est rapidement répandu dans la vallée du Saint-Laurent, comme en témoignent les voyageurs de l’époque. Bien que similaire à la langue parlée à la Cour de France, le français québécois a cependant connu sa propre évolution, influencé par les langues amérindiennes, puis l’anglais à la suite de la guerre de Sept Ans. En France, le français de la bourgeoisie est préféré au « français du Roy » à partir de la révolution, ce qui explique les évolutions linguistiques distinctes du Québec et de la France. 

La situation du français au Québec a radicalement changé une fois la province devenue colonie britannique, à partir de 1763. L’élite économique et politique parlait désormais anglais, au détriment du français, qui perdit donc sa place centrale dans l’espace public.                 À cette époque, il n’est pas rare pour les Québécois parlant français en public d’être sommés de parler anglais. L’insulte « Speak white » (parle blanc, ndlr), qui a d’ailleurs inspiré un poème militant du même nom de Michèle Lalonde, illustre cette dépréciation du français. Quant à l’élite québécoise, elle dénigre progressivement la prononciation québécoise à partir du milieu du 19e siècle, lui préférant la prononciation parisienne. Dès sa création en 1936, Radio-Canada diffusait ainsi des programmes parlés dans une langue axée sur le français de France. Ce n’est que dans les années 1970, sous l’impulsion de la révolution tranquille, que la radio a changé sa politique, alors que le français québécois commençait à occuper une place plus importante dans l’espace public.   

Révolution francophile 

La révolution tranquille, au début des années 1960, a en effet radicalement changé la place du français au Québec. C’est une période de renouveau, à la fois sur le plan économique, culturel, et politique. Le nationalisme québécois se développe, et le français s’affirme.  Avec la progression socio-économique des francophones, le rapport de la population au français québécois se métamorphose. La publication de la pièce Les belles-sœurs de Michel Tremblay en 1968, une des premières œuvres québécoises écrites en joual, français populaire teinté d’anglicismes, témoigne de ce changement de perception de la langue. «[Ce mouvement] a eu pour effet de nous forcer à réfléchir à notre rapport à la langue et à notre identité : sommes-nous fiers d’être Québécois ? Sommes-nous fiers d’être distincts des Français ? Est-ce normal que notre français soit différent de celui qu’on parle en France ? […] Ce fut un exercice collectif d’interrogation et de prises de position qui a permis de s’approprier le français, avec ses particularités et son américanité propres », expliquait ainsi Chantal Bouchard, linguiste et professeure au Département de langue et de littérature françaises de McGill, dans un entretien avec la revue Relations.

Cette transformation de la perception du parler québécois a été suivie par l’adoption de lois promouvant l’usage du français au Québec. En 1977, année de création du Délit, le gouvernement péquiste de René Lévesque fit adopter la Charte de la langue française, plus connue sous le nom de « Loi 101 », définissant le français comme seule langue officielle du travail, de l’administration, du commerce et de l’éducation des immigrants. Aujourd’hui amendée, la « loi 101 » conserve cependant sa mission de protection du français dans l’espace public, tout comme le Délit conserve sa mission de promotion du français dans l’espace mcgillois.  


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