Le Délit : Est-ce-que vous pouvez vous présenter rapidement ?
Yan Chantrel : J’ai 38 ans, je suis à Montréal depuis plus de 6 ans. Je suis élu consulaire auprès du Consulat de France à Montréal, qui regroupe les Français de Montréal, Moncton et Halifax. Depuis trois ans, je suis aussi élu à l’assemblée des Français de l’étranger pour représenter tous les Français du Canada. C’est une instance qui se réunit deux fois par ans et qui fait des propositions au gouvernement sur des problématiques spécifiques concernant les Français établis hors de France. Ce sont des mandats bénévoles, qui me permettent d’avoir une connaissance assez fine des Français qui sont établis en Amérique du Nord, puisque j’y réponds quasi-quotidiennement.
En plus de ça, bien sûr, j’ai un emploi. Je vis à Montréal, je travaille ici aussi. Je travaille pour un comité consultatif auprès de la CPMT [Commission des partenaires du marché du travail, ndlr]. C’est une institution attachée au ministère de l’emploi québécois. J’y fais des avis et des recommandations pour permettre la réinsertion sur le marché du travail des personnes judiciarisées.
Ça fait un an que je fais campagne, puisque j’ai été investi par les militants socialistes en Amérique du Nord lors d’une primaire en juin 2016. Je crois beaucoup en la démocratie participative, donc j’ai voulu faire un projet participatif. Je me suis dit que je voulais m’ouvrir, et ne pas rester enfermé dans une étiquette politique. L’intérêt d’avoir des députés des Français de l’étranger, pour moi, c’est qu’ils puissent apporter quelque chose de rafraîchissant, de différent. Je ne peux pas être la même personne qu’un socialiste en France, j’ai des différences, des spécificités et j’ai envie de les défendre à l’assemblée. Si c’est pour avoir un député qui se comporte et qui soit exactement comme les autres, je n’en vois pas beaucoup l’intérêt. Le fait que je vive ici, que j’ai une autre réalité, une autre culture, je pense que ça peut enrichir la France d’apporter ça.
LD : Est-ce-que vous pouvez nous donner trois grands axes de votre programme ?
YC : Il y a beaucoup de propositions dans mon projet, mais il y a trois axes principaux. Le premier c’est les propositions pour les Français établis en Amérique du Nord. Dans ces propositions là il y a un volet très important qui est l’éducation pour les Français. Je veux mettre en place un plan d’éducation pour tous. Je veux par exemple que les familles de classe moyenne aient accès aux bourses, et aider au développement des offres alternatives d’éducation en français.
Ensuite, il y a les projets pour la France. Dans ce volet, j’ai notamment des propositions sur l’écologie —je suis quelqu’un de très écolo. J’ai par exemple comme objectif de se fixer à l’horizon 2050, 100% d’énergies renouvelables, zéro pesticides, interdire les perturbateurs endocriniens, favoriser les circuits courts…
J’ai aussi des propositions sur les libertés individuelles, auxquelles je suis très attaché. Par exemple, je suis pour la PMA [procréation médicale assistée, ndlr] pour les couples homosexuels et pour les femmes seules. Je suis aussi pour la GPA [gestation pour autrui, ndlr], pour qu’elle soit reconnue pour les Français qui naissent à l’étranger [via cette pratique], mais aussi pour en France mais ne l’encadrant de manière très stricte —comme c’est fait au Royaume-Uni. Il y a aussi le droit à mourir dans la dignité, qui est un sujet important. Ils sont plus avancés ici au Québec sur tous ces sujets.
Et il y a un dernier volet, qui est peut-être ma signature à moi : c’est la démocratie participative. Ce n’est pas juste pendant la campagne. J’y crois profondément. Je veux donc qu’elle soit institutionnalisée. Par exemple, je suis pour la création d’une chambre citoyenne qui serait tirée au sort. Tout ce qui émanerait de cette chambre serait mis à l’ordre du jour du parlement. Les parlementaires seraient obligés de se positionner, sans devoir de les adopter. Ça permet d’avoir une relation constante entre les citoyens et leurs représentants.
LD : Au sujet de la démocratie participative, en regardant votre programme, on aperçoit une ressemblance frappante avec le mode de fonctionnement qu’avait la campagne présidentielle des Insoumis [nom donné aux militants du mouvement mené par Jean-Luc Mélenchon, ndlr]. Est-ce-que vous vous êtes inspirés du style de campagne de Jean-Luc Mélenchon ?
YC : Non, ce n’est pas qu’il y a une inspiration. Il faut voir que des gens qui sont insoumis ont participé à mon projet. Et puis, quand je me suis lancé en campagne, il n’y avait pas encore les présidentielles. On ne connaissait pas encore les candidats la plupart du temps. Il y a des qui gens qui soutenaient Emmanuel Macron qui ont participé à mon projet aussi. Ça veut peut-être juste dire que j’ai une base programmatique qui rassemble réellement les gens de gauche et progressistes.
LD : Que pensez vous de la décision du gouvernement qui renonce au vote électronique pour les Français établis à l’étranger ?
YC : J’étais à l’assemblée des français de l’étranger au moment de l’annonce. J’ai vu que concrètement, il y avait un rapport de l’INSEE, une autorité indépendante et reconnue pour la qualité de ses travaux, qui montrait des risques. Qui plus est, on l’a vu avec Emmanuel Macron : pendant les présidentielles, il s’est fait hacké ! La menace est plus que crédible puisqu’on a des faits qui peuvent l’établir. De tous les experts, il y en a pas un seul qui peut garantir une fiabilité à 100%. Pas un seul !
LD : Donc, le fait que ça ait été annulé pour cette fois, vous êtes pour. Mais philosophiquement, vous être favorable au vote électronique ?
YC : Philosophiquement, j’y suis favorable. Tout ce qui peut contribuer à aider les Français qui sont éloignés —et surtout les Français de l’étranger —des bureaux de votes, il faut les aider. Par contre, après, il faut des réélections démocratiques. Est-ce que, quand on organise un scrutin, on considère que même s’il n’y a qu’un pourcent de doute, c’est démocratiquement acceptable ? Est-ce qu’on considère que le doute est permis ?
LD : Le parti socialiste n’a pas fait un bon score aux présidentielles. À quoi attribuez-vous cela ?
YC : Pour plein de raisons. Premièrement, beaucoup de personnes ont voté pour Emmanuel Macron pour bloquer la route à Fillion.
LD : Donc, la faute au vote stratégique ?
YC : La faute au vote très stratégique. Ce n’était pas forcément pour bloquer l’extrême droite. C’était pour que ce ne soit pas l’extrême droite face à Fillion.
L’autre versant, c’est Mélenchon qui a bénéficié d’une dynamique importante. Si on voulait un candidat de gauche, certains pensaient qu’il fallait se rabattre sur lui. Dans la dernière ligne droite, ça a siphonné le vote Hamon. Ç’aurait été l’inverse si Hamon avait été à 17% à une semaine du premier tour.
Il y a eu une dynamique énorme à ce niveau-là. C’est pour ça que je suis un peu en dehors de ça : je fais campagne depuis longtemps, les gens font la part des choses. Ils savent que s’ils veulent peser à l’Assemblée nationale, si possible, ce serait de peser par rapport à des choses dont ils sont proches. Ils pourront se dire « Au moins, lui, il va bien nous représenter. On va être fière de voir qu’il me représente vraiment ».
LD : Donc vous vous faites pas trop de soucis par rapport à ça ?
YC : Non je ne me fais pas de soucis. Là, je pense que l’on va avoir à faire à des candidats « étiquette ». Ils se présentent trois semaines avant le vote avec une étiquette « élisez-moi ». Vu la taille du territoire, pour moi, c’est presque une insulte aux électeurs. C’est leur manquer de respect.
LD : Le PS dans sa forme historique semble aujourd’hui menacé, contraint d’évoluer ou de s’écrouler. Que prévoyez-vous ? Une disparition du parti ? Une « gauchisation » ? Une « droitisation » ?
YC : Moi, je n’ai pas de spéculation pour être tout à fait honnête. Par contre, je vais participer à sa rénovation. Le projet que je porte, c’est un projet de rénovation. Peu importe le parti où je serai !
J’ai une base programmatique de rénovation qui s’est faite à partir du terrain. Ce n’est pas comme si l’on m’avait fait un programme, comme pour tous les autres candidats. Ce n’est pas un truc décidé à Paris, et qu’on leur a dit « tiens, maintenant tu vas aller porter cette parole ». Quelle est la valeur ajoutée ? Zéro ! Moi, je fais un travail de terrain, je suis cohérent dans la démarche. Quand je serai en France, je vais défendre ça.
LD : Quels projets souhaitez vous voir apparaître pour pousser plus loin l’amitié franco-québécoise ?
YC : Le lien est déjà fort. Dans certaines provinces, ils aimeraient avoir une relation équivalente. Mais il faut le renforcer quand même, sur la reconnaissance des diplômes, par exemple.
Moi, en tant que parlementaire, je serai l’artisan, le représentant, de cette alliance entre le Québec et la France. Je participerai à le renforcer d’autant plus que je vis ici, je suis un acteur des deux côtés de l’Atlantique. Participer à la relation entre le Québec et la France, c’est aussi y vivre au quotidien.
Mais il faut aussi voir les choses dans l’autre sens. Il faut aussi faire en sorte que des Québécois viennent en France. Le Québec vend très bien auprès de la France, mais que la France se vende un peu mieux auprès des autres !
LD : Ça fait six ans que vous vivez ici à Montréal. Quel est votre lieu culturel préféré ?
YC : Le Musée des beaux-arts. Il n’est pas très loin de McGill d’ailleurs !
LD : Est-ce-que vous seriez prêt à travailler avec Emmanuel Macron si son mouvement faisait appel à la gauche de l’assemblée ?
YC : Je resterai cohérent dans ma démarche de député. Je défendrai mon projet. Après, s’il y a des propositions qui sont faites par Macron qui me semblent intéressantes, je voterai pour. J’appuierai le gouvernement sur une base programmatique, je ne m’accorderai pas simplement pour accorder.
Je me donne une certaine liberté vis-à-vis de mon parti.
Mon programme a été construit sur le terrain, et c’est celui que je défendrai. Mais je ne suis pas dans l’obstruction systématique—comme Jean-Luc Mélenchon par exemple. Mon but c’est que la France avance et que l’extrême droite recule.
LD : Donc pas de coalition sur papier mais il peut y avoir des accords de circonstance. La logique est la même pour les Insoumis de Jean-Luc Mélenchon ?
YC : Bien sûr.
LD : Benoît Hamon a annoncé la création d’un mouvement « transpartisan » le 1er juillet 2017. Savez-vous de quoi il s’agit ?
YC : Pour être honnête, non (rires). Mais ce n’est pas le seul mouvement. Il y a aussi une formation qui s’appelle « Demain » avec Martine Aubry et Christiane Taubira. Cette dernière fait d’ailleurs officiellement partie de mon comité de soutien.
LD : Est-ce-que vous acceptez l’étiquette de « frondeur » ?
YC : Non, je n’ai jamais accepté cette étiquette-là. Mon but c’est d’avancer. Par contre, manifester ses désaccords, je le ferai—et je l’aurai fait lors de la précédente majorité, sur la déchéance de nationalité par exemple.
LD : Si vous voulez une certaine liberté d’action, quel intérêt de se présenter en tant que candidat du PS ? Pour pas Divers Gauche ou sans étiquette ?
YC : Moi, je crois fondamentalement au rôle des partis politiques. Je pense que le Parti socialiste est, à la base, un parti de gauche réformiste. Je crois, contrairement à d’autres, au fait de participer à la décision publique. Je veux impacter la vie des gens.
Pour moi, c’est important d’avoir un parti qui permet d’accéder aux responsabilités. Les endroits où il n’y a pas de parti, c’est des dictatures. Je pense que les partis politiques sont des systèmes à eux seuls, et il en faut. Par contre, il faut les réformer.
LD : Si vous aviez un reproche à faire à Frédéric Lefebvre ?
YC : Mon gros problème, c’est son absence. Pour moi, c’était un député absent. Il connaissait mal la circonscription puisqu’il n’y avait jamais vécu et, malheureusement, ça ne s’est pas beaucoup amélioré. Il n’a pas prouvé vis-à-vis des Français ce que ça apportait en plus d’avoir un député des Français de l’étranger.
LD : Dernière question, est-ce-que vous avez un compte de campagne au Canada ?
YC : (rires) Non, j’ai une association de financement qui a été faite dans les règles. J’ai fait un crédit personnel, je n’ai pas eu un seul centime d’un parti. Ça fait aussi partie de la liberté que je me donne. Je n’ai absolument aucune aide : tout vient de crédits personnels et de dons des citoyens.
Les élections des français·e·s en Amérique du nord auront lieu les 3 et 17 juin 2017.