Le nom du maire de Montréal, Denis Coderre, fut souvent accompagné de qualificatifs peu élogieux : Coderre « l’autoritaire », le « tyran », le Kim Jong-un de la politique municipale. Bien que ces surnoms lui aient la plupart du temps été attribués par des membres de l’opposition, des journalistes et autres observateurs dits neutres ont également en ces mots souligné les tendances impérieuses du maire montréalais. Ces comportements présentent-ils vraiment un danger pour les institutions démocratiques municipales, ou au contraire, s’agit-il d’un spectacle aux impacts superficiels ?
Il est indéniable que M. Coderre présente des traits de caractère pouvant en faire sourciller plus d’un. On se rappellera qu’il ne s’était pas gêné pour mentionner à une policière qu’elle « travaillait pour lui », alors que cette dernière lui avait demandé de libérer le passage de circulation lors d’une fête de célébration de la Saint-Jean. On peut également se remémorer la réunion du conseil municipal où M. Coderre avait ordonné de « cut the mic » (éteindre le microphone, ndlr) d’une citoyenne qui se prononçait en défaveur de son projet de règlementation des chiens de race pitbull.
Ces façons de faire, disons robustes, impliquent-elles des impacts négatifs au niveau des institutions démocratiques municipales ? Autrement dit, la « méthode Coderre » représente-t-elle simplement une corde de plus à l’arc du maire lorsque vient le temps de négocier, ou se cache-t-il derrière cette dernière de réelles inclinations autoritaires ?
Une tradition « d’hommes providentiels » à Montréal
Il faut d’abord noter que M. Coderre n’est pas le premier leader de la métropole québécoise à présenter des airs césariens. Le chargé de cours de l’UQAM et spécialiste du système politique montréalais, Florent Michelot, parle même d’une « tradition de l’homme providentiel » à Montréal : « Cette constance dans l’histoire montréalaise d’élire des hommes prompts au populisme ou au néopopulisme, on l’a vu avec Camilien Houde et d’une certaine façon avec Jean Drapeau. Ce n’est pas un nouveau phénomène ».
Le professeur de sciences politiques à l’Université Laval, Jérôme Couture, ajoute que la gouvernance municipale est souvent caractérisée par une plus grande personnification du pouvoir. « Non seulement [à ce palier de gouvernement] on vote directement pour le maire, contrairement aux autres niveaux de gouvernement où l’on vote strictement pour son député, mais le système municipal fait en sorte que les partis locaux s’organisent autour de la personnalité du chef », explique-t-il. Il souligne d’ailleurs que la chef du parti Projet Montréal, Valérie Plante, opte également pour une approche très axée sur sa personne dans le cadre de la présente campagne.
Au-delà des mots
Qu’en est-il alors des lois 121 et 122 ? Adoptées dans les derniers mois à l’Assemblée nationale, ces lois « quasi omnibus » tant elles abrogent une grande quantité de règles, lèvent notamment l’obligation des villes de tenir des référendums populaires lorsqu’un projet relatif à l’urbanisme ou à l’aménagement du territoire est initié. Ces changements législatifs étant le résultat d’une requête formulée par les villes de Montréal et Québec, on peut présumer que MM. Coderre et Labeaume avaient pour intention de réduire la quantité d’obstacles potentiels à la matérialisation de leurs décisions, tel qu’un refus populaire exprimé par référendum.
Or, il faut préciser que ces référendums n’étaient pas parfaits. Comme le stipule le professeur d’urbanisme de l’Université de Montréal, Jean-Philippe Meloche : « Ils pouvaient bloquer de bons comme de mauvais projets. On constatait également que souvent, de petits groupes davantage touchés par l’enjeu débattu, par exemple les résidents voisins d’un potentiel nouveau centre d’injection supervisée, empêchaient de cette façon que l’ensemble de la ville bénéficie de changements ».
Des raisons légitimes pouvaient donc motiver le désir du maire Coderre d’écarter ce mode de consultation populaire. Il demeure tout de même « qu’à première vue, comme le mentionne M. Couture, les citoyens perdent du pouvoir lorsque l’on retire ce type d’obligation ». En effet, la tenue d’une consultation dépend maintenant de la motivation des villes à faire entendre le point de vue de leurs citoyens, ce que Michelot considère paradoxal : « la tendance à l’international est de plus en plus axée sur la participation citoyenne. Il est curieux que Montréal, qui fut toujours un chef de file en la matière, se départisse de certains de ses outils ».
« Tous les maires veulent avoir le plus grand contrôle possible sur leur ville et retirer des pouvoirs aux arrondissements est une façon d’y arriver. »
Vers une centralisation des pouvoirs ?
Dans le même ordre d’idées, en parallèle des projets de loi 121 et 122, le maire Coderre s’est habilement accaparé certaines des compétences des arrondissements, notamment en matière de déneigement. La promulgation de ce service, qui était jusqu’alors prodigué par les arrondissements, est maintenant assurée par la ville mère. Si ce genre de mesures ont l’avantage de permettre une uniformisation des services, elles impliquent également que les arrondissements perdent une partie de « leur saveur locale ».
Pour Michelot, il ne fait aucun doute que ce genre de modification est le résultat d’une volonté de centralisation des pouvoirs de la part du maire montréalais, même si cette dernière « s’articule de façon plus insidieuse que chez d’anciens maires ». Or, si pour le chargé de cours de l’UQÀM ces propensions centralisatrices de la ville sont importantes à souligner, pour le professeur d’urbanisme il s’agit d’un phénomène plutôt banal : « Il y a en effet en ce moment une inclination vers la centralisation qui est observable. Par contre, elle n’est pas propre à Denis Coderre. Tous les maires veulent avoir le plus grand contrôle possible sur leur ville et retirer des pouvoirs aux arrondissements est une façon d’y arriver. »
Des formulations chargées de sens
Autoritaire M. Coderre ? Si oui, pas plus que ses prédécesseurs, semblent dire certains spécialistes de la politique municipale, sans nier que derrière le côté « langue pendue » du maire, se trouve également un chef prêt à prendre les moyens de ses ambitions.
Cette tendance des observateurs à amalgamer le nom de certains politiciens avec des adjectifs forts d’une connotation tant historique que politique devrait ainsi peut-être être revue. Le professeur de l’Université Laval, M. Couture, se range d’ailleurs derrière cette position à en croire son diagnostic relatif au maire de la ville de Québec, qui reçoit souvent des critiques similaires : « M. Labeaume n’est pas un populiste, contrairement à ce que laisse entendre l’étiquette que beaucoup lui ont accolée dans les dernières années. » Un autre cas qui mériterait peut-être d’être mis en perspective.