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Serge, haïtien engagé

À la rencontre de Serge Bouchereau, porte-parole du Comité d’action des personnes sans statut.

Webmestre, Le Délit | Le Délit

Le Délit est parti à la rencontre de Serge Bouchereau, porte-parole du Comité d’action des personnes sans statut, partenaire de Solidarité sans frontière, ayant fui Haïti il y a de nombreuses années pour sa propre survie.

Le Délit (LD): Pouvez-vous nous en dire plus sur votre rôle au sein du Comité d’action des personnes sans statut ?

Serge Bouchereau (SB): Ce comité a été formé à la suite de la levée du moratoire le 1er décembre 2014 du gouvernement de Stephen Harper. Ce moratoire concernait 3500 personnes au total dont 3200 Haïtiens et 300 Zimbabwéens. Aussitôt que ce moratoire a été levé, ces gens-là pouvaient être déportés car ce moratoire leur permettrait de rester au Canada sans être déporté·e·s. Cependant le gouvernement a décidé, en levant ce moratoire, de prendre des mesures qui permettaient à ces gens de faire une demande d’ordre humanitaire. Le délai était de 6 mois, pendant lequel ils ne seraient pas être déportés. Suite à cette levée, nous avons formé le Comité d’action des personnes sans statut au début de l’année 2015. Il y eut une réunion au Bureau de la Communauté Haïtienne de Montréal (ou BCHM, ndlr), où de nombreuses personnes haïtiennes sans statut se sont réunies et m’ont proposé d’être leur porte-parole car elles savaient que j’avais une certaine expérience dans le domaine. 

LD : Y- a–t‑il déjà eu une situation similaire à celle de décembre 2014 au Canada ?

SB : Dans les années 1970, la communauté haïtienne a été confrontée à un problème similaire. À ce moment-là, on voulait déporter 1500 travailleurs haïtiens. Il y avait alors un comité appelé CDDTH, Comité de défense des droits des travailleurs haïtiens, qui a mené des luttes conséquentes avec des syndicats et des organisations en tous genres. Ça a abouti à ce que l’on a appelé « l’opération mon pays » sous Pierre Eliott Trudeau qui avait décidé de prendre une mesure globale pour permettre à ces personnes d’obtenir la résidence permanente au Canada. Des personnes de toutes les ethnies ont bénéficié de cette mesure collective. C’est d’ailleurs grâce à mon expérience et grâce à cette victoire que l’on m’a mis à la tête du comité. 

LD : Savez-vous combien de personne venant des différents pays voient leur demande d’asile acceptée au Canada ?

SB : Le gouvernement Canadien dit que 50% sont acceptés et 50% sont refusés. Ça c’est pour  les demandeurs d’asile de tout le Canada. Parce qu’il faut faire la différence entre ceux qui font une demande d’asile et ceux qui font une demande pour motifs humanitaires, même si ces derniers étaient au préalable des demandeurs d’asile. Les demandes d’asile dans la plupart des cas sont rejetées, mais quand elles le sont, on peut faire appel. Dans les pays où il n’y a pas de programme d’ordre humanitaire, la toute dernière chance est l’ERAR, Examen des risques avant renvoi, c’est une dernière étape permettant de faire comprendre à l’immigration que la vie du demandeur ou de la demanderesse est en danger s’il retourne dans son pays d’origine.

LD : En août dernier, une vague d’immigration haïtienne a eu lieu au Québec. Que pensez-vous de la situation actuelle des Haïtiens au Québec ?

SB : Il y a actuellement une nouvelle situation. Beaucoup de gens viennent des États-Unis et traversent la frontière de manière irrégulière. Cela n’est pas illégal contrairement à ce que beaucoup de journaux disent : le Canada a signé la convention de Genève qui l’oblige à accueillir des demandeurs d’asile. Ces demandeurs n’étaient pas bien accueillis au départ. J’ai été à la frontière, j’ai vu les conditions dans lesquelles ils étaient accueillis. Pendant trois jours on leur donnait un drap et ils dormaient par terre. Ils se mettaient en ligne pour aller aux toilettes. On peut s’imaginer le reste. Nous avons dénoncé cette situation là et le gouvernement a amélioré les choses plus tard. 

LD : Combien de gens demandant l’asile au Québec appartiennent à la communauté haïtienne ?

SB : Avant, il y avait beaucoup d’Haïtiens. Il y avait des journées où le nombre d’haïtiens représentait à peu près 60% et même 80% de ceux qui traversaient la frontière. Certains médias en ont fait tout un vacarme, comme si les Haïtiens allaient envahir le Québec. Depuis janvier jusqu’à maintenant, il n’y a que 12 000 personnes qui sont arrivées ici au total et parmi ces 12 000 personnes, les Haïtiens ne représentent que 40% du nombre. Il y a une femme qui a fait 12 pays avant d’arriver ici avec son bébé et sa petite fille de 2 ans, elle en a vu de toutes les couleurs avant de venir ici. Elle était vraiment déterminée à offrir des conditions de vie meilleures à sa famille. 

LD : Comment peut-on justifier les conditions déplorables dans lesquelles ces demandeurs et demandresses d’asile ont été reçus·e·s ?

SB : Pour moi, le Québec et le Canada n’étaient pas préparés à accueillir des demandeurs d’asile en si grand nombre. Cela ne représente rien par rapport à ce que reçoit l’Europe. Si Donald Trump met en application sa menace d’éliminer le TPS (Temporary Protected Status, en anglais, ndlr) qui est l’équivalent du moratoire canadien aux États-Unis, on aura des répercussions au Canada avec des milliers et des milliers de demandeurs d’asile qui vont arriver. Je ne sais pas comment le Canada fera.

LD : Au niveau de l’intégration des demandeurs d’asile, trouvez-vous que les mesures mises en place au Québec actuellement sont suffisantes ?

SB : Au niveau de l’intégration, je ne sais pas ce que l’on pourrait dire. Comme le Canada a signé la convention de Genève, il a fait son possible pour faire son devoir même si cela laisse à désirer. Les demandeurs d’asile sont amenés dans des centres d’hébergement où ils doivent remplir des formulaires que la plupart ne comprennent pas. De plus, il faut un avocat pour aider ces gens-là mais il n’y en a pas assez. Ceci n’est pas normal. Aussitôt qu’on fournit le chèque de dernier recours, on laisse 72heures à la personne pour foutre le camp. Imaginez quelqu’un qui n’y connait rien à la ville, qui ne comprend même pas la valeur du dollar canadien, vous pouvez comprendre le reste. Le gouvernement a essayé petit à petit de corriger ses erreurs.

LD : D’après vous, quels sont les enjeux de la diaspora haïtienne au Québec ?

SB : Ce que je peux vous dire, c’est que la communauté haïtienne a intérêt à ce que les demandeurs d’asile soient acceptés par le gouvernement canadien. Et ce, pour plusieurs raisons. Premièrement, cette diaspora a grandi et a augmenté le nombre d’Haïtiens et d’Haïtiennes vivant au Canada. Deuxièmement, le Canada offre des emplois qui permettent à la communauté de travailler et d’envoyer de l’argent à leur famille en Haïti. Après tout, c’est nous, gens de la diaspora qui aidons Haïti à survivre. 


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