Les éditoriaux dans notre journal ont souvent servi de tribune, du haut desquels il était de notre devoir de défendre la francophonie à McGill, facilitant ainsi le maintien d’un campus accessible et accueillant pour la communauté francophone. L’AÉUM (Association des étudiant·e·s en premier cycle de l’Université de McGill, ndlr) étant un organisme censé protéger et représenter ses étudiants, il subit donc souvent notre mise en examen à ce sujet. Nous louons l’organisation quand elle passe une motion bénéficiant la francophonie, et nous la condamnons quand elle faillit à son devoir.
La semaine dernière, une motion demandant que l’AÉUM soutienne (endorse en anglais, ndlr) l’existence de la SPD — Société des Publications du Daily, organisme qui régit les publications du Délit et du McGill Daily — fut apportée au conseil législatif.
Elle ne fut pas adoptée. L’AÉUM refuse donc de prendre parti et de soutenir l’existence de la SDP. Ainsi, l’AÉUM refuse non seulement de soutenir l’existence de la presse étudiante — outil qui assure la transparence et la responsabilité de cette institution étudiante — mais elle décide aussi de ne pas soutenir un des organes de la francophonie sur le campus.
Quelle gifle pour la communauté francophone et ce, alors même que la semaine dernière l’AÉUM passait une motion afin de refonder la Commission des Affaires Francophones… Un pas en avant, un pas en arrière, somme toute ?
Des débats familiers
Cette motion ne fut pas — il est important de le noter — votée à l’unanimité, avec 12 Conseiller·ère·s se prononçant contre, 10 pour et 2 s’abstenant de voter. Un volte-face pour le Conseil législatif qui avait choisi, à l’époque du dernier référendum, de soutenir la SPD.
Ce n’est malheureusement pas la première fois que le Délit connait une relation regrettable avec l’AÉUM. Il y a 40 ans, lors de la naissance du Délit dans les pages de sa contrepartie anglophone, l’AÉUM (dont le McGill Daily était encore à l’époque l’organe de presse), s’était violement opposée à la création d’un journal francophone sur le campus, et elle n’avait pas hésité à traîner le rédacteur en chef de l’époque, Daniel Boyer, devant la Commission Juridique. Cette dernière (fort heureusement pour nous) jugea que l’usage du français était une prérogative de l’équipe du journal et permit ainsi à l’édition française de survivre.
Aujourd’hui, un des arguments semblant décisif de la part de certains opposants reposait sur la revendication que L’AÉUM devrait rester « neutre » face à ce référendum. Il ne faudrait pas, selon eux, donner l’impression que la presse étudiante est dans la poche de l’AÉUM, ou que les Conseillers soutiennent un organe de presse qui ne plaira pas à tous leurs électeurs. Ne serait-ce qu’un argument faisant office d’écran de fumée, pour masquer un désaccord avec la couverture de cette presse ? Dans un éditorial du Délit datant de 2012, à propos du refus de l’AÉUM de soutenir un référendum de CKUT, l’équipe du journal se prononçait déjà à ce sujet : « Le Délit croit que le rôle du Conseil est de prendre ce genre de décisions. Les membres de l’exécutif sont élus selon une certaine plateforme électorale et non pas selon leurs compétences bureaucratiques. De plus, le fait de voter oui, de voter non, ou de s’abstenir constituent tous des énoncés politiques. » Cinq ans plus tard, ces mots sonnent toujours aussi juste.
Passer une minorité sous silence
Nous notons aussi avec déception la réponse et le vote de la présidente Muna Tojiboeva, elle-même francophone, et qui avait fait de la promotion de la francophonie un point important de sa campagne : « Je ne me sens pas confortable de soutenir (endorse en anglais, ndlr) un journal qui marginalise les étudiant·e·s », déclara la présidente à propos du McGill Daily et de sa politique anti-sioniste. Une autre Conseillère souligna cependant que « Si la SPD cesse d’exister il y a déjà une voix minoritaire qui ne sera pas entendu et c’est la voix de la francophonie ». Ceci ne fut évidemment pas assez convaincant, car la majorité des Conseillers votèrent quand même contre la motion. Quel message le Conseil législatif envoi-t-il exactement aux étudiant·e·s ? Que l’une des seules voix de la francophonie sur le campus peut-être sacrifiée uniquement à cause d’un désaccord avec la ligne éditoriale d’un autre journal, qui s’avère être publié par la même société de publications ? Que le seul hebdomadaire francophone du campus ne serait qu’un simple dommage collatéral en cas d’échec ce référendum ?
Il y a 40 ans l’AÉUM s’opposait à la naissance du Délit, aujourd’hui elle décide de ne plus soutenir sa continuité. Le Délit regrette amèrement les résultats de ce vote.