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Une programmation à en hurler à la lune

Le Festival du nouveau cinéma (FNC), qui en est à sa 37e édition, n’a jamais cherché à se définir. « Est-ce que tu l’as vu ? Non ? Alors c’est du nouveau cinéma. » C’est ce qu’explique avec humour Julien Fonfrède, programmateur de la section « Temps 0 » de ce qui est certainement le festival cinématographique le plus reconnu de Montréal. Pour lui, le FNC réunit tout simplement le meilleur de la production cinématographique de l’année. « Chaque film est suffisamment pertinent pour être montré, qu’on aime ou on n’aime pas », dit-il.

C’est avec ce mandat que le festival nous revient encore cette année avec une programmation éclectique de plus de 200 films québécois, canadiens et internationaux. Chaque œuvre impose sa vision unique, tout en se voulant accessible aux cinéphiles de toutes catégories.

C’est après avoir visionné près de 3000 films soumis au festival dans la dernière année que Julien Fonfrède et ses collègues s’apprêtent à sauter dans l’aventure du FNC, à quelques jours seulement de ses premières projections. Une seule « Louve d’or » sera décernée dans la sélection internationale, composée des grands noms du cinéma. Hors compétition, la section « Temps 0 » est en quelque sorte l’enfant terrible du FNC. Selon les artisans du festival, il était temps de renouer avec l’aspect expérimental, qui perdait de son importance avec le temps. La section a été introduite il y a cinq ans, avec l’arrivée de Julien Fonfrède à la programmation. Surnommée par les artisans du festival « la horde sauvage », la section « Temps 0 » suscite année après année de hautes attentes chez les amateurs de surprises. C’est le lieu désigné où se manifestent les pratiques émergentes du cinéma, où se révèlent les tendances de demain. Le « nouveau » du nouveau cinéma.

« J’ai eu mon espace de liberté où j’ai pu rajouter ce qui, à mon avis, manquait au festival, précise Julien Fonfrède. D’abord, beaucoup de films asiatiques. Je trouvais que le cinéma asiatique était mal représenté, souvent par quelques noms spécifiques d’auteurs déjà très reconnus à l’international. Il n’y avait pas de prise de risque. » De ce fait, près de la moitié des films de « Temps 0 » nous arrivent d’Orient cette année. Le classique d’arts martiaux de Wong Kar-Wai, Ashes of Time Redux, fait un tour sur nos écrans, comme Detroit Metal City de Toshio Lee, adaptation humoristique d’un manga mettant en vedette un chanteur japonais de death metal. « Temps 0 » parvient, de cette manière, à élargir la conception que l’on se fait du cinéma asiatique en incluant des genres comme l’animation, avec Tokyo Marble Chocolate, et la comédie musicale, avec 811.

Le jeune programmateur ne recherche surtout pas le consensus autour de ses choix. Il tente avant tout de dénicher « tout un pan de cinéma qui ne rentre pas dans la logique officielle du cinéma artistique de Cannes, Venise et Berlin. » C’est au fil des coups de cœur des organisateurs du FNC que se construit donc la variété d’œuvres au programme et sa distinction fondamentale des autres festivals. « Ce qui m’intéresse de plus en plus ce sont les choses qui sortent de la norme, qui jouent avec cette identité de cinéma artistique. D’une certaine manière, un ¨bon¨ film ça m’ennuie quasiment maintenant. » Pour Julien Fonfrède, « Temps 0 » a été l’occasion de sortir des sentiers battus et de rejoindre un nouveau public, plus jeune et avide de sensations fortes.

Programmateur au Festival Fantasia depuis ses débuts jusqu’à ce qu’on l’approche au Festival du nouveau cinéma en 2002, Fonfrède établit maintenant une nette distinction entre ces deux événements cinématographiques courus. Pour lui, Fantasia manque d’expertise cinéphile et « ressemble de plus en plus à une convention. Avant, je n’aurais pas passé un film d’horreur japonais juste parce que c’était un film d’horreur japonais. Je n’ai jamais programmé pour les fans. Je programme plus en fonction de ceux qui ne connaissent pas, pour les attraper avec un film. Je recherche l’effet de surprise et pas la logique de divertissement. » Au contraire, le FNC demeure un festival où cinéma et vision d’auteur se côtoient. Avec un comité d’honneur composé de réalisateurs comme Atom Egoyan et Robert Lepage, on ne peut le contredire : le FNC a gagné en maturité mais n’a rien perdu de sa pointe avant-gardiste… et exclusive. « C’est un festival très sélectif. L’image que l’on en a à l’international est qu’il est très difficile de rentrer », dit-il.

Le futur du cinéma s’annonce également dans la section « FNC Lab ». C’est dans ce laboratoire que s’effectuent, par exemple, les expérimentations du Festival Pocket Films. Ce festival de nos cousins français est dédié au « cinéma de poche », soit réalisé avec un appareil de poche. Il débarque à Montréal dans le cadre du FNC le 13 octobre à 17h20, au Cinéma Parallèle de l’Ex-centris. Le lendemain seront même présentés des courts métrages filmés avec les cellulaires d’une poignée d’étudiants en arts visuels de l’UQÀM. Le Festival du nouveau cinéma donne aussi carte blanche au site web Dailymotion, un des sites les plus importants de partage de vidéos, qui nous fera découvrir le meilleur de la production cinématographique d’Internet, le 15 octobre prochain. Le responsable de la programmation du site, Marc Eychenne, sera présent lors de cette séance spéciale au Cinéma Parallèle. Autre événement à noter : une rencontre avec réalisateurs et superviseurs d’effets visuels autour du thème des plus récentes évolutions du cinéma numérique. L’invité d’honneur, Nicolas Aithadi, a travaillé entre autres à l’adaptation de la série Harry Potter au grand écran.

En ouverture, le FNC présentera le film Un Capitalisme sentimental d’Olivier Asselin, qui nous transporte dans les années folles. Tout n’est que divertissement, jusqu’au jeudi noir où une jeune chanteuse pathétique devient la cible des paris financiers de trois hommes d’affaires. Ce n’est qu’un exemple de la production québécoise, qui envahit littéralement la 37e édition du festival. Entre les murs, de Laurent Cantet, vient la clore. Comme un microcosme de la France contemporaine, la classe d’une école de banlieue parisienne est le théâtre d’affrontements entre les cultures et au sein de la hiérarchie. Et entre ces deux derniers films, une panoplie de découvertes à faire.

« J’ai hâte de voir la tête des spectateurs », conclut Julien Fonfrède, le sourire aux lèvres.

Pour plus d’information, composez le 514.844.2172 ou consultez le www​.nouveaucinema​.ca

Le Délit a visionné pour vous quelques films présentés au FNC. 

Demain de Maxime Giroux (Québec)

Ce premier long métrage de Maxime Giroux se déroule lentement, comme les jours de son personnage principal féminin, joué par Eugénie Beaudry, en attente de lendemains plus heureux. Aux prises avec un père malade et un nouvel amant moins que tendre, elle vit sans se poser, légère et éthérée. L’esthétique du film traduit avec justesse toutes les nuances du personnage et nous fait pénétrer dans ce monde sans bouleversements. Sélectionné pour la section « Focus », Demain nous présente une relève québécoise en pleine possession de ses moyens.

La Mémoire des anges de Luc Burdon (Québec)

Toujours dans le volet documentaire du FNC, ne manquez pas La Mémoire des anges, de Luc Bourdon. À partir des archives de l’Office national du film, le réalisateur a construit ce magnifique collage, qui dresse un portrait du Montréal des années cinquante et soixante. C’est avec plaisir que le spectateur se laisse emporter dans cette belle aventure et découvre ou redécouvre la ville telle qu’elle l’était à l’époque. La rue Sainte-Catherine, le port de Montréal, le quartier Saint-Henri… Tous ces endroits que nous connaissons bien sont montrés sous un autre jour.

En alternant entre des images d’archives et des extraits de films de l’époque, entre les images noir et blanc et les images couleurs, Bourdon dresse un très beau panorama. Des extraits musicaux viennent soutenir cette richesse visuelle. C’est ainsi que l’on voit Dominique Michel entonner « Les trottoirs », Charles Trenet chanter « Le soleil et la lune » et un jeune Paul Anka susurrer « Put your head on my shoulder » à l’oreille d’une fan en larmes.

C’est donc un documentaire complet, qui nous offre un portrait intéressant d’une époque et d’une ville. La coexistence du français et de l’anglais, l’omniprésence de la religion, la culture : tout y est représenté.

Gomorra de Matteo Garrone (Italie)

Ceux qui ont suivi l’actualité européenne ces derniers temps savent que l’Italie, en particulier la ville de Naples, est aux prises avec de sérieux problèmes liés au crime organisé, en particulier celui de l’enfouissement des déchets. C’est à cela que le réalisateur Matteo Garrone prête attention tout le long de Gomorra, et ce dans un style plus près du documentaire que de la fiction. Le film est une adaptation du best-seller de Roberto Saviano, qui décrit avec précision les rouages du clan Camorra, l’organisation criminelle la plus influente à Naples. Garrone suit tout au long du film cinq histoires parallèles, n’ayant pour lien commun que le fait d’avoir été bouleversées par les Camorra et leur emprise. L’excellent jeu des acteurs, les dialogues poignants ainsi que la réalisation sobre de Garrone en font une œuvre hyper-réaliste qui, bien qu’elle ne soit pas divertissante au même titre que d’autres films de gangsters comme Le Parrain, nous éclaire sur une situation bien réelle et surtout pressante. Le film a remporté cette année le Grand Prix au Festival de Cannes.

La Frontière de l’aube de Philippe Garrel (France)

La Frontière de l’aube, c’est l’histoire de deux amants. Il y a François (Louis Garrel), un photographe, et puis Carole (Laura Smet), une actrice mariée en manque d’amour. Ils vivent une histoire intense mais éphémère, qui se termine lorsque Carole doit, un soir, chasser le jeune homme de son lit, à cause du retour inopiné du mari. C’est à partir de ce moment que la fatalité joue son rôle, et que tout dégringole jusqu’à un drame final digne des tragédies grecques.

Philippe Garrel, qui ose le noir et blanc avec succès, nous offre cependant un bien drôle de puzzle. Le film, constitué de fragments rafistolés, n’est pas inintéressant, mais laisse le spectateur un peu perplexe. Les transitions inexistantes entre les scènes donnent au tout un rythme qui peut devenir agaçant, et nous laisse sous l’impression de ne pas aller au bout des choses. Néanmoins, cette œuvre, qui s’est méritée une place dans la compétition au dernier Festival de Cannes, choque et fascine. Mais peut-être pas pour les bonnes raisons.

Audience of One de Mike Jacobs (Etats-Unis)

Ce documentaire de Mike Jacobs est entièrement porté par la démence spirituelle du pasteur pentecôtiste Richard Gazowsky, à qui Dieu aurait confié la mission de réaliser le plus grand film de l’histoire. Audience of One retrace donc le parcours du pasteur et ses fidèles, qui n’ont jamais fait de cinéma et qui tentent un long métrage entre le récit biblique et La Guerre des étoiles. Le spectateur devient alors le témoin d’une entreprise mégalomane, fascinante à défaut d’être compréhensible. Malgré les embûches financières et un travail de quatre ans qui n’aboutit qu’à deux scènes filmées, les Pentecôtistes ne se laisseront pas arrêter…

Surveillance de Jennifer Lynch (États-Unis, Allemagne)

Tel père, telle fille ? Ce n’est pas si simple, comme peut en témoigner Surveillance, le deuxième long métrage de la réalisatrice Jennifer Chambers Lynch. Tout de même produit par son père, ce film sort des sentiers battus par David Lynch en se campant dans le genre de la série B. Dans ce pastiche noir des films de tueurs en série, deux agents du FBI enquêtent sur une série de meurtres. On y retrouve toute la perversité et la fascination pour le grotesque des réalisations du père. Tout y est cruauté, violence. Avec une trame musicale inquiétante de David Lynch, Surveillance ne réussit pas à s’émanciper de l’ombre du père célèbre, tout en proposant quelque chose de plus accompli que le premier effort de Jennifer Chambers Lynch, Boxing Helena.

Tokyo Sonata de Kiyoshi Kurosawa (Japon)

Présenté au Festival de Cannes cette année, Tokyo Sonata montre un vrai drame social à travers l’histoire d’une famille qui s’autodétruit. Lorsque le père est licencié d’une compagnie importante, son univers se renverse. Ce qui fait la beauté de Tokyo Sonata est précisément qu’il ne se conforme pas à la morale habituelle. Kiyoshi Kurosawa y fait le portrait de la normalité, valorisée par la famille. Traversé par un humour léger, ce film est une observation sensible et touchante de tout ce qui est dysfonctionnel à notre époque, au Japon tout comme ailleurs.

Hommes à louer de Rodrigue Jean (Québec)

Dans le volet documentaire, souvent oublié mais qui est assez bien représenté au Festival, le réalisateur Rodrigue Jean nous permet de voir de l’intérieur un milieu que nous ne connaissons, pour la plupart, pas beaucoup : celui de la prostitution masculine à Montréal. Ainsi, Hommes à louer propose une série de témoignages, troublants dans leur sincérité, de ces jeunes et de leur réalité.

Le sexe, lorsqu’il est abordé, est traité avec un détachement déconcertant. Mais ce n’est pas la matière première du film. Avant tout, le documentaire tente de nous faire voir une réalité. Il tente d’aller au fond des choses en recueillant les paroles de ceux qui la vivent. On y parle de drogue et de dépendance, mais aussi de la violence omniprésente qui marque la vie de ces hommes, et de leur incapacité à sortir de ce milieu.

C’est donc un film difficile, qui provoque une violente prise de conscience et trouble encore davantage parce qu’il dépeint un univers qui, tout en nous paraissant si lointain, est si près de nous.

Eldorado de Bouli Lanners (Belgique, France)

Eldorado dit, avec une grande beauté cinématographique, l’errance de deux personnes paumées dans la Belgique actuelle. Une amitié improbable fera suite à la rencontre incongrue d’un mécanicien mélancolique et d’un jeune toxicomane qui n’a plus d’endroit où aller. C’est un film rempli de réflexions existentielles que nous livre ici Lanners, où la route n’est plus qu’un prétexte au développement des relations humaines. L’humour belge plutôt décalé trouve aussi sa place dans cet univers qui évolue au son d’une musique punk-blues.

Tokyo Marble Chocolate de Naoyoshi Shiotani (Japon)

Seul film d’animation de la section « Temps 0 » et un des seuls de la programmation complète du Festival du nouveau cinéma, Tokyo Marble Chocolate évoque dès son titre la jeunesse candide. C’est l’histoire d’amour d’un garçon trop timide, qui offre accidentellement à sa bien-aimée un âne nain en couche-culotte. S’en suivent quelques péripéties dans lesquelles le garçon doit reconquérir la jeune fille, cadrées dans une ville qui se couvre de neige. Ode à la beauté de Tokyo, décor idéal pour les romances enfantines, ce court film est du vrai bonbon pour les yeux avec ses touches de couleurs délicates.

Waltz with Bashir de Ari Folman (Israël)

Visuellement magnifique, le film d’animation Waltz with Bashir est à la fois beau, troublant et incroyablement dérangeant. Du réalisateur israélien Ari Folman, ce long métrage nous présente la quête d’un homme qui, traumatisé par sa participation à l’invasion de Beyrouth de 1982, en a effacé tout souvenir de sa mémoire. Ne lui reste en tête qu’un rêve, sombre et troublant, qu’il fait à répétition depuis des années. Il entreprend donc de reconstituer les événements en interrogeant ceux qui ont servi avec lui dans l’armée israélienne. Leurs témoignages l’aideront, peu à peu, à découvrir ce qui a pu se passer et, surtout, à comprendre comment il est devenu ce qu’il est.

La forme animée permet à Folman de présenter des images d’une violence inouïe tout en demeurant dans les limites de l’acceptable. Il a su, avec brio, nous présenter une réalité difficile et qui ne doit pas être oubliée, tout en donnant à son film une sensibilité qu’on retrouve rarement dans les films de guerre. À la fin, comme un coup de poing, des images réelles des lendemains du massacre sont présentées, dans le silence le plus complet. On ne peut alors rester indifférent à ce retour à la réalité, qui nous rappelle que tout cela n’est pas que fiction.

Martyrs de Pascal Laugier (France, Québec)

Martyrs est une surprise dans la production cinématographique française, où la vague gore est toute récente. Ce long métrage de Pascal Laugier pousse la provocation à l’extrême et installe le spectateur dans un véritable malaise en explorant les facettes de la démence psychologique. Dans cet univers de violence sèche et nerveuse, on raconte la quête de vengeance d’une jeune femme kidnappée et torturée dans son enfance. Le récit, dénué de toute explication rationnelle, réussit à se démarquer et à se montrer réellement dérangeant.


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