Quand j’entre dans la salle de cinéma, Michel Hazanavicius est déjà sur l’estrade, partageant quelques anecdotes de tournage avec le public avant la projection du film. On lui demande comment Louis Garrel a réagi à l’idée de jouer Jean-Luc Godard, probablement un des cinéastes les plus notoires de la Nouvelle Vague avec François Truffaut. « C’est comme si on demandait à un catholique fervent de jouer Jésus », aurait-il répondu.
La satire d’un géant du cinéma
Et en effet, Louis Garrel se métamorphose en Godard comme si le rôle était fait pour lui. Jamais sans ses lunettes aux verres fumés, Garrel/Godard s’énerve, s’impatiente contre son épouse Anne, traite tout le monde de con y compris lui-même, débite des énormités devant des amphithéâtres d’étudiants fulminants, mais son immaturité et son cynisme font rire le public, qui s’amuse de ses grotesques crises de colère.
Le Redoutable ne prétend pas être un documentaire sur Godard, bien au contraire. Inspiré du roman Un an après d’Anne Wiazemsky, Michel Hazanavicius pastiche avec brio la grandeur du cinéaste et son ambition politique, le réduisant souvent à un homme dépassé par la force insurrectionnelle de la jeunesse qui l’entoure.
Véritable comédie dramatique aux échos révolutionnaires de mai 68, les détails portés sur l’époque sont remarquables, tout y est : les manifestations étudiantes, les communistes, la Sorbonne, les pénuries, la guerre du Vietnam, De Gaulle, les policiers, mais surtout une volonté de révolution sociale. Dans ce chaos apparent, Godard et Anne vivent les évènements de mai 68 comme une révélation, du moins au début.
Un drame sentimental
Pour Godard, le cinéma est mort, notamment le sien. Il faut maintenant faire du cinéma politique, sans attache, sans réalisateur et en démocratie. Sauf que cette nouvelle image d’ex-bourgeois qui s’insurge ne plait ni à la critique ni au public, et encore moins à Anne, dont le quotidien se trouve trop souvent martelé de foules railleuses et d’insultes, obligeant le couple à quitter les lieux, humiliés. Stacey Martin incarne avec justesse cette femme tout juste sortie de l’adolescence, timide, douce mais transparente pour son mari, qui n’hésite pas à mettre de côté sa vie amoureuse pour se concentrer sur son travail d’artiste.
Le personnage d’Anne est atone, semblable à une ligne continue, ne déviant pas de sa trajectoire sur un cardiogramme plat. On aimerait la voir rire, hurler, sauter de joie, mais elle reste impassible, secondaire toute la durée du film, comme perdue sous l’emprise d’un antidouleur trop dosé. Ironiquement, c’est sa voix qui narre les faits, en opposition ultime avec l’incandescence enflammé de Godard à chaque dialogue.
Michel Hazanavicius relève avec panache le défi d’adapter à l’écran un roman autobiographique, réalisant un film à la fois drôle et touchant sur un Jean-Luc Godard déchu, frustré, épris de liberté sans avoir comment voler de ses propres ailes. Je suis entrée dans la salle en m’amusant de lui et ses enfantillages, pour mieux le détester lorsque les remerciements et le générique sont apparus à la fin sur l’écran noir.
« Que veux-tu, ainsi va la vie à bord du Redoutable. »