Le Délit (LD): Vous avez déjà travaillé plusieurs fois avec François Ozon à ce jour. Avez-vous ainsi eu l’opportunité d’être rattaché au projet dès les phases de pré-production ou avez-vous simplement embarqué au moment de la production ? Quelle influence avez-vous eu sur le développement de votre personnage à l’écriture ?
Jéremie Renier (JR): Il y a toujours un peu un travail que le réalisateur demande en amont, des lectures, des répétitions. Au cours de travail, il y pas mal de choses qui changent, parce qu’en le jouant on se rend compte qu’il y a des choses qui ne marchent pas. En dehors de ça, tout était déjà écrit. Je suis arrivé assez tard sur le film en fait. Marine (Vacth, qui joue le rôle de Chloé ndlr.) était déjà impliquée dans le projet, que François avait déjà un peu mis en place. L’influence que j’ai eu sur mon personnage, c’était plutôt lors des répétitions où on a fait quelques ajustements, mais pas de gros changements.
LD : Quel genre d’ajustements avez-vous notamment fait dans le film ?
JR : Des dialogues, des déplacements. Il y avait une scène notamment qui manquait selon Marine et moi. On trouvait qu’il y avait un écart entre le moment où Chloé vient chez Louis pour la première fois et la scène suivante : il y avait une première rencontre et tout de suite la fois d’après ils couchaient ensemble. Marine et moi trouvions cela un peu trop rapide, on a donc suggéré à François de rajouter une scène de provocation du désir avant de passer tout de suite à l’acte.
« Le but quand on joue un personnage c’est justement d’arriver à le comprendre »
LD : Comment était cette troisième collaboration avec Ozon ?
JR : François est quelqu’un qui travaille très rapidement, il est toujours très exigeant, avec lui-même et avec l’équipe, il s’ennuie rapidement, donc avec lui il faut que ça aille vite ! Il faut proposer, il faut avancer… Et en même temps c’est un terrain de jeu. C’est à dire qu’on peut essayer certains trucs, il a une relation très enfantine avec le cinéma, il se galvanise de tout ce qu’il passe et de ce qu’on lui propose. Mais ça il l’a toujours eu. Après chacun est différent en fonction des personnes qu’il a en face de soi. Ce que je veux dire, c’est que François et moi on se connaît depuis vingt ans maintenant, on a dépassé l’étape où on se cherche, où on a besoin de se séduire artistiquement, on se connaît, donc il y certaines étapes qu’on peut sauter. J’ai confiance en lui, il a confiance en moi, du coup ça se fait assez naturellement.
LD : Il y a une atmosphère très années 70/80 dans le film, notamment à travers les couleurs et les matières des décors et costumes. Il semble aussi y avoir beaucoup de références aux films d’horreur cultes de l’époque — Psychose, Rosemary’s Baby, The Shining. Est-ce que ces références et cette atmosphère, qui au final confèrent au film une qualité intemporelle, sont des effets recherchés ?
JR : C’est une bonne question. Bon je ne suis pas le réalisateur du film, je sais que François a tout de suite voulu faire de ce film un thriller. Dans le thriller, il y a des codes de suspense définis à suivre, que ce soit Hitchcock, Lynch, Cronenberg ou Polanski, ils suivent ces codes. François voulait s’amuser avec ces codes-là, ceux du son, de la musique, des décors… Les décors étaient très importants pour lui, notamment les bureaux, que ce soit le bureau de Paul ou celui de Louis, il voulait que les bureaux aient une identité bien différente à l’image des personnages qui les occupent et qu’ils offrent une réflexion par rapport à l’intériorité des personnages. Le film est conçu du point de vue de Chloé, comment est-ce qu’elle traverse les choses, comment elle les perçoit à travers des fantasmes et les transforme au fur et à mesure du film. Et François s’est amusé à rendre cette ambiance de plus en plus glauque. En ce qui me concerne en tant qu’acteur, il y a un moment où j’ai pu m’amuser un peu. Dans le délire que le personnage de Marine traverse, je pouvais m’amuser à mélanger un peu mes deux personnages pour essayer de perdre le spectateur et Chloé sur qui elle a en face d’elle. Après, l’important c’était de donner l’impression que tout est vrai, de faire croire à l’impossible, à l’incroyable, donc pour nous les acteurs, il fallait jouer les scènes sans se dire « tiens je suis dans un thriller » et justement éviter les codes.
« L’important c’était de donner l’impression que tout est vrai, de faire croire à l’impossible, à l’incroyable »
LD : Beaucoup de critiques au festival de Cannes ont reproché à la majorité des films de la sélection d’être très cruels et froids vis-à-vis de leurs personnages, et l’aspect moralisateur de ces films. Que pensez-vous de ce point-de-vue et avez vous jugé votre propre personnage à un moment du film ?
JR : Pour ce qui est des retours de presse c’est toujours difficile. C’est marrant, j’étais à une radio ce matin et la critique faisait une critique d’un film. C’était bien car elle parlait des points qu’elle aimait bien et les points qu’elle n’aimait pas. Le but d’une critique pour moi n’est pas d’écraser une oeuvre, que ce soit un film, une peinture, un livre. C’est d’expliquer ce que l’auteur a voulu faire et après son immersion ou non. Mais de là à écraser ou à chaque fois vouloir absolument critiquer ou mettre des choses dans des cases… C’est dommage, parce que ça referme un peu les débats. Je ne sais pas par rapport aux personnages, je n’ai pas vu tous les films de Cannes. Je peux parler du mien. Je n’ai pas jugé Paul et Louis. Le but quand on joue un personnage c’est justement d’arriver à le comprendre, comprendre pourquoi il réagit comme ça. Arriver à ne pas le juger, car quand tu juges tu deviens extérieur à ce qu’il vit et tu peux pas ingérer par quoi il passe et ce qu’il est en train de vivre. Le but c’est de le comprendre, et comprendre pourquoi il passe par là.
LD : Comparé au film Potiche où votre personnage avait beaucoup de contacts avec d’autres personnages, vous n’avez joué quasiment qu’avec Marine Vacth (qui interprète Chloé). Comment avez vous abordé ce duo et sa formation ?
JR : C’était super. En plus François Ozon est derrière la caméra donc c’est lui qui cadre, ce qui est rarement le cas. Il y avait vraiment une synergie où on était tous les trois ensemble. C’était un film très intime, malgré le sujet et le côté horrifique. On était vraiment dans un espace de travail à trois, à se faire confiance tous les trois et à essayer des choses. On a chacun joué le jeu. Marine aussi était à fond. On était là pour cette œuvre. C’était très agréable car nous étions soutenus et on se soutenait mutuellement.
« Il y a (quand même) une envie de fantasmer, d’avoir des références, des lectures »
LD : Qu’est ce qui vous inspire à accepter un rôle ? Est ce que c’est le rôle en lui même, les acteurs avec qui vous allez collaborer, le réalisateur ou une image globale ?
JR : Je me rends compte en vieillissant que c’est instinctif. Si j’avais la chance de pouvoir toujours [faire les bons choix], car malheureusement parfois on fait des erreurs, ou on fait des films qui ne sont pas les films qu’on avait imaginés. Souvent c’est quelque chose d’impalpable, je me rends compte que quelque chose me parle. Le sujet, la proposition d’un rôle que je n’ai pas fait, quelque chose qui s’anime en moi. Quelque chose qui m’excite, qui me taraude, un sujet que je ne connaissais pas, une mise à l’épreuve d’apprendre le piano, de partir dans un autre pays. Après oui, il y a le réalisateur forcément. Il y a les acteurs en face. C’est un tout, c’est un pari. Il y a des metteurs en scène où on se pose moins la question. François, qu’on aime ou qu’on n’aime pas son cinéma, c’est quelqu’un qui est intéressant. Il fait des vraies propositions, il est très versatile car il touche à tout. Du coup c’est facile de partir avec lui.
LD : Comment est-ce que vous préparez vos rôles ? Est-ce que vous faites beaucoup de recherches, est-ce que vous suivez le mouvement, en parlez-vous avec le réalisateur ?
JR : Ça dépend vraiment des films, des rôles et des réalisateurs. Il y a des réalisateurs qui n’aiment pas les répétitions. D’autres qui vont en faire pendant un mois. D’autres qui vont parler du rôle et t’en peux plus tu veux qu’ils se taisent et puis d’autres qui ne disent pas une phrase. Ça dépend, et puis après tu as des envies. Moi tout d’un coup je vais faire un film et me dire « ce film là je ne vais pas le préparer ». Je vais y aller à l’instinct et me laisser porter parce que j’ai l’impression que pour ce personnage-là et ce genre de film il faut que j’aille dans telle direction. D’autres films je vais me dire qu’il faut que je le prépare en amont énormément pour avoir une certaine liberté. Pour ce film, j’ai travaillé beaucoup avec François et un coach car tout d’un coup ça me paraissait primordial pour ce projet. Ça varie, ça change tout le temps. Il y a quand même une envie de fantasmer, d’avoir des références, des lectures. Et parfois je peux tomber sur une série, trouver un personnage à un endroit qui m’intéresse par rapport au personnage que je vais créer après. Voir des choses c’est inspirant aussi.