Quand vous lisez les termes « moine bouddhiste », quelle image vous vient en tête ? Peut-être envisagez-vous un ascète au crâne rasé vêtu d’une robe orangée. Perdu au sommet d’une montagne au fin fond de l’Asie, il trace des mandalas dans le sable en tergiversant sur la nature éphémère de l’existence. Si vous avez lu les aventures d’Astérix, vous voyez possiblement un vénérable du sommet aux yeux bridés, moins la fascination pour la lessive des dieux.
Et si je vous disais qu’un moine bouddhiste japonais participe aux cours de conversation anglaise que je donne chaque semaine ?
Sans doute n’est-ce pas si surprenant. Après tout, on s’attend à ce que les bonzes affinent leur sagesse par l’acquisition de savoir, et la langue de Shakespeare s’avère un atout de premier ordre pour élargir ses horizons étudiants. Qui sait, peut-être avez-vous choisi de fréquenter l’Université McGill pour des raisons similaires ?
Haussons la mise. En plus d’étudier assidûment l’anglais, Hiro (puisque tel est son nom) est marié, a plusieurs enfants et petits-enfants. Il cultive sa propre rizière (dont une partie est récoltée à l’ancienne, à la serpe), enseigne la calligraphie et s’implique comme bénévole pour le centre de recherche d’anthropologie. Fin gastronome, il possède, fait rarissime, une machine à pain. De temps en temps, il fréquente le pub irlandais dans la grande ville la plus proche.
Et si je vous disais que certains moines installent un arbre de Noël dans leur temple au mois de décembre ?
J’aime bien les contradictions. Je les trouve charmantes. L’avantage d’être transplanté dans une culture étrangère est que l’on détecte ces aberrations plus aisément. Le Japon possède sa propre panoplie de paradoxes, à commencer par les expressions idiomatiques. Si vous formulez une requête à laquelle votre interlocuteur ne peut répondre, vous aurez droit à un « c’est un peu impossible ». Vraiment ?
On aperçoit aussi ces conflits dans le domaine religieux, où l’observation des rituels shintos et bouddhistes – sans compter les nombreuses autres superstitions – s’effectue dans une harmonieuse contradiction. D’un côté, il y a la célébration de la vie, de la beauté, de l’émerveillement devant la glorieuse nature. De l’autre, il y a le renoncement, le constat du bonheur éphémère.
Au cœur de ce tourbillon de contradictions, il y a le moine. La séparation entre le séculier et le sacré s’opère à même cet individu. (Parenthèse littéraire : le roman Le pavillon d’or de Yukio Mishima explore un peu la psyché des bonzes.) Tout en étant héritier d’une profession transmise de génération en génération, Hiro est un ovni dans le microcosme social. Il se promène nu-pieds, boycotte les chaises pour s’asseoir par terre. Il collectionne les voyages : Royaume-Uni, États-Unis, Canada, etc.
« J’aime poser des questions, interroger les gens jusqu’à ce qu’ils remettent en question les systèmes qui les entourent. Je voulais devenir professeur d’université, mais l’établissement est tellement sclérosé que j’ai fini par abandonner. Maintenant, j’enseigne la vie. » Le rôle et l’âge de Hiro lui valent un respect immense. Quand il est passé me visiter au bureau, tout le monde s’est levé pour l’accueillir. Cela lui permet, malgré des habitudes qui peuvent paraître excentriques, de convaincre les gens de repenser leur quotidien et leurs espérances.