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Solitudes et similitudes

Retour sur l’œuvre de Koltès et son analyse des relations humaines.

Jean-François Hétu

Après  La nuit juste avant les forêts en 2013, Brigitte Haentjens revient sur la scène montréalaise avec la mise en scène d’un second texte de l’auteur français Bernard-Marie Koltès. Dans la solitude des champs de coton est une pièce étrange au texte dense qui présente, dans une atmosphère lugubre, la rencontre d’un acheteur et d’un dealer.

Confrontation et dualité 

À son arrivée, le spectateur voit devant ses yeux se lever la cage qui clôture les gradins où il s’assiéra. Le dispositif bi-frontal donne à la scène une allure de ring, et ce choix scénique est immédiatement révélateur de la ligne directrice selon laquelle sera abordé le texte. Tout dans la pièce est placé sous l’angle de la dualité et de l’opposition.

Deux personnages, aux motivations contraires et complémentaires, se confrontent à travers des tirades équilibrées, de durée presque toujours égale, dans une langue soutenue qui n’est pas sans rappeler celle du théâtre classique. On qualifie l’œuvre de Koltès de « théâtre littéraire », et si nous éprouvons d’abord une certaine difficulté à pénétrer dans cet univers porté par les mots, rapidement le rythme du discours se fait familier. Ainsi est offerte la possibilité de comprendre le sens quasi-hermétique de toutes les métaphores et subtilités du texte. Cependant, même si la performance de Sébastien Picard reste louable, son élocution empêche la bonne compréhension du texte à certains moments. 

À toutes les fioritures du discours s’oppose la scène, vide, dépouillée de tout élément de décor et sobre dans les costumes. La langue que partagent les deux personnages, signe de leur humanité commune, s’affronte à des mouvements presque bestiaux déconcertants, qui mettent en relief l’animalité de la rencontre avec l’autre. Les tentatives de familiarité se heurtent au désir de solitude, comme l’offre à la demande et le désir au rejet lorsque l’altérité se fait trop grande pour permettre la compréhension. 

Ces oppositions tâchent durement de se maintenir en équilibre. Celui-ci est sans surprise précaire, instable, et renferme à lui-seul toute la tension qui sous-tend la pièce. Tension qui ne se relâche jamais, surtout pas chez les deux acteurs, et qui insuffle à l’atmosphère une énergie lourde, étouffante et réussie. 

Le problème du désir

C’est sans mise en contexte que la pièce débute. Si en lisant préalablement la présentation fournie, on comprend aisément que la drogue est l’objet du marchandage entre le vendeur et l’acheteur, c’est peut-être se limiter dans l’interprétation des enjeux que de s’imposer la matérialité d’une telle marchandise. En effet, le désir d’acquérir ou de fournir des drogues pourrait représenter aussi celui de tisser des liens avec les autres, ou, au fond, représenter n’importe quel désir. Tout le tragique repose alors dans quelque chose de plus universel : réaliser que peu importe ce que l’on cherche ou ce que l’on a à offrir, rien ne peut fondamentalement nous satisfaire.

S’il y a incontestablement apothéose vers la fin de Dans la solitude des champs de coton, le problème demeure, et les réponses restent insatisfaisantes. L’œuvre nous laisse perplexe : n’y a‑t-il d’autre alternative à la solitude que la violence ?


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