La pièce Hurlevents prend place dans le magnifique théâtre Denise-Pelletier. En guise de décor, la mise en scène de Claude Poissant est sobre : la scène n’a pour elle qu’un comptoir de cuisine, un canapé et une table fixée au plafond. L’espace est pleinement ouvert pour la magnifique distribution constituée d’Alex Bergeron (Sam Falaise), Kim Despatis (Catherine), Benoit Drouin-Germain (Édouard), Florence Longpré (Émilie), Emmanuelle Lussier-Martinez (Isa) et Catherine Trudeau (Marie-Hélène). Dans Hurlevents, l’autrice Fanny Britt nous invite jusqu’au 24 février à affronter les grandes bourrasques.
Inspirations et transgressions
« Est-ce une adaptation, une inspiration, une transgression ? C’est tout simplement une pièce de Fanny Britt. » Ce sont par ces mots que le metteur en scène Claude Poissant nous introduit à la pièce. Hurlevents est le cadre d’un souper entre étudiants et professeurs prenant des allures dramatiques. Le fil central de la pièce repose sur la relation qu’ont les différents personnages entre eux-mêmes et les objets de leurs désirs.
Une simple lecture du roman duquel est (entre autres) tirée la pièce nous apprend aisément que tout lecteur sera désorienté par la disparition du romanesque. Pourtant, Fanny Britt restitue avec brillance l’abîme dans lequel le roman d’Emily Brontë nous plonge. Les mots y sont empreints d’angoisse, de désespoir et de vengeance. On ne saurait donc s’attendre à un autre drame que celui auquel le roman Hurlevents nous convie. Pour cause, la pièce rappelle le vent et la fureur du livre Les Fous de Bassan d’Anne Hébert. Alors que les personnages ne cessent de répéter que l’on ne peut sortir dehors en raison des rafales de vent, il apparaît plutôt que la tempête est enfermée à l’intérieur, sur scène.
De vives tensions
Cette pièce, bruyante s’il en est, réalise ce que l’art fait de mieux : elle restitue les tensions pour lesquelles les mots nous manquent. Le féminisme y est abordé de manière à exposer ses contradictions et ses astrictions. Fanny Britt, à travers les personnages féminins de la pièce, nous montre plusieurs des positions tenues par différents courants féministes ; la collision n’en est que plus forte. Nous entendons le hurlement du vent, nous le sentons.
Qui plus est, le personnage de Marie-Hélène, figure centrale interprétée par la toujours excellente Catherine Trudeau, s’inscrit dans cette théâtralité comme une grande force morale à laquelle nul ne saurait se dérober. Marie-Hélène est droite et porte une voix aussi puissante qu’il est possible de se l’imaginer ; elle dénonce et pourfend à la manière d’une Médée. N’est-ce pas Marie-Hélène, professeuse de littérature, qui cantonne les imprécations de Isa en lui rétorquant que «[sa] vie est unique, mais [que son] expérience est collective » ? Il y a là une leçon particulièrement haute et forte. Alors que d’aucuns trouveraient une quelconque indignation face à cette figure moraliste, il a semblé qu’elle s’inscrivait comme majeure, particulièrement puisque nous vivons tous à une époque où certaines choses ont bien assez duré. Günther Anders, philosophe allemand du 20e siècle, s’affichait ouvertement moraliste puisqu’il ne trouvait plus la force intérieure pour contenir les crimes horripilants dont il était témoin ; le personnage de Marie-Hélène nous invite à cette même pratique. Alors que le personnage d’Isa cherche à défendre sa relation avec son professeur, elle est aussitôt ramenée à cette dure réalité où nous ne sommes jamais à l’abri de l’abus de nos désirs par les autres. En critiquant la dynamique de pouvoir, la professeuse cherche à mettre un terme à un cercle vicieux qui ne cesse de faire des victimes.
En somme, la pièce en elle-même nous incite à particulièrement remettre en question notre époque ; la critique féministe des dynamiques de pouvoir nous rappelle toute l’actualité des témoignages de #metoo. À ne point en douter, la pièce Hurlevents est une incroyable réussite vers laquelle nous devrions tous tendre l’oreille. L’histoire est le prétexte d’une foule de questions.