Il aura fallu qu’Alexandre le Grand rencontre la mort même pour qu’il accepte de mourir. Au théâtre de Quat’ Sous, Emmanuel Schwartz fait vivre et mourir le héros antique jusqu’au 26 mai.
Épurer sans cacher
Le Tigre Bleu de l’Euphrate de Laurent Gaudé met en scène l’agonie d’Alexandre le Conquérant. Sur scène, son lit de mort, au fond, une toile sur laquelle sont projetés des paysages. C’est tout. La pièce prend la forme d’un magistral monologue de plus d’une heure trente. Alors qu’il agonise, il veut mener un dernier combat, lutter contre Hadès le temps de nous conter son destin. Conquérant de Babylone, fondateur d’innombrables cités, et mort alors qu’il était encore à la tête de son armée, Alexandre le Grand a bâti un empire presque à la hauteur de ses ambitions.
Le Tigre Bleu de l’Euphrate trace au compas le solipsisme dans lequel Alexandre évolue. Emmanuel Schwartz est seul sur scène. Point de servantes, point de femmes, point d’ennemis pour Alexandre le Grand, il n’y eut toujours que lui, son destin et sa quête. Écho d’outre-tombe, sa voix se module au gré des plaines, des batailles et des conquêtes qu’il nous raconte. Il crie les morts, hurle au souvenir de ses ennemis, enrage sur scène.
Une double incarnation
Son corps se déforme à mesure qu’il tue et se meurt, un instant il arrache la chair d’un ennemi passé, celui d’après il s’effondre sur scène, faible comme un vieillard agonisant. Emmanuel Schwartz incarne, au sens premier du terme, il entre dans la chair d’Alexandre le Grand et lui donne vie par deux fois. Ce n’est pas un mais deux Alexandre qui combattent sur scène. L’un combat Hadès, l’autre est affairé à faire renaître les ennemis du passé pour les tuer à nouveau. Pour que l’empereur soit incarné sans faux-semblant, Denis Marleau a fait le choix de lui retirer son armure. Sous un simple drap blanc, Emmanuel Schwartz articule en se désarticulant Alexandre enfant, adolescent, conquérant puis mourant. Le Tigre Bleu de l’Euphrate n’est pas l’histoire d’un homme qui meurt, c’est l’histoire d’un homme qui vit une seconde fois. Alexandre revoit son passé et l’incarne pour nous. Il redécouvre la haine de son ennemi, subit l’aridité du désert et tente d’assouvir sa soif de conquête.
Et c’est seulement lorsqu’il a tout dit, qu’il n’a plus rien à conter, qu’Alexandre accepte de mourir.