Nous vivons dans un âge essentiellement tragique ; aussi refusons-nous de le prendre au tragique. Le cataclysme est accompli ; nous commençons à bâtir de nouveaux petits habitats, à fonder de nouveaux petits espoirs. C’est un travail assez dur : il n’y a plus maintenant de route aisée vers l’avenir, nous tournons les obstacles ou nous grimpons péniblement par-dessus. Il faut bien que nous vivions, malgré la chute de tant de cieux ». Ainsi débute le roman de D. H. Lawrence, L’Amant de Lady Chatterley, publié en 1928 en Italie et en 1932, dans une version expurgée, en Angleterre.
Une ode à la sensualité
La chorégraphie de Marston traduit cette fureur de vivre de la société après la Première Guerre mondiale, qui a amené la mort et la destruction. Racontant l’histoire de la passion adultère entre Constance Chatterley et Oliver Mellors, le garde-chasse de son domaine, dans l’Angleterre puritaine d’après-guerre, le ballet est une ode à la sensualité. Dans une entrevue avec la chorégraphe publiée dans Le Devoir, Catherine Lalonde expose la visée du spectacle : « En s’attachant à donner corps et danse aux personnages, Constance Chatterley en tête, Mme Marston cherche à reproduire, en ‘ballet romantique’, la beauté des mots du roman. Et la beauté d’un homme et d’une femme cherchant leur sensualité à eux, hors diktats, dans un monde de plus en plus mécanique, usiné, productif, répétitif, industriel ».
Les ruines du passé
L’univers du roman est représenté par un décor minimaliste aux couleurs sombres, celles des mines. L’arrière-scène est en pente, laquelle peut symboliser à la fois les tranchées et la chute de la société européenne suite à la guerre. Des colonnes de néons blancs pendant du plafond, représentant tour à tour une porte, une fenêtre et les arbres de la forêt du domaine, peuvent illustrer quant à eux la rigidité et l’enfermement du milieu dans lequel vit Lady Chatterley. La chorégraphie des mineurs et des ouvriers, aux mouvements brusques et pesants, symbolise très bien le poids de Constance : celui de son mari Clifford, paralysé des jambes suite à une blessure de guerre, dont elle est condamnée à s’occuper.
Une maîtrise admirable
La scène de l’union physique et émotionnelle de Constance et Mellors est saisissante, l’intensité des mouvements allant crescendo dans un corps-à-corps sensuel à couper le souffle. La musique de Philip Feeney, qui a réorchestré des partitions pour piano du compositeur Alexandre Scriabine (1871–1915), renforce la puissance de la chorégraphie. Les danseurs font tous preuve d’une précision remarquable. Mention spéciale à Dane Holland (Clifford) pour la scène de dispute entre Clifford et Constance, dont le « ballet du fauteuil roulant » est émouvant, puisqu’il illustre l’impuissance à la fois physique et symbolique du personnage. Ainsi, Cathy Marston a su traduire la passion pérenne des amants de D. H. Lawrence, accordant aux spectateurs un moment de répit dans un monde en plein changement.
L’amant de Lady Chatterley, une chorégraphie de Cathy Marston Aux Grands Ballets Canadiens, Place des Arts, du 4 au 13 octobre 2018.