Liquid Nutrition fait des affaires en or ces derniers jours d’été grâce à ces frappés glacés et fruités aux noms incongrus. Mais les smoothies ne sont pas les seules spécialités de la boutique qui se concentre aussi sur des produits de bien-être. Elle se donne une mission, que l’on peut lire sur le site Internet : « Informer et enseigner aux gens de notre communauté que le fait de manger sainement peut être à la fois simple, amusant, rapide et délicieux ». Sur les tablettes sont donc vendus des produits étiquetés « Total détox », « Optimiseur de performance » ou « Optimiseur de santé ». Peu importe leur message, toutes les bouteilles, chaudières et fioles promettent un corps sain et reflètent, depuis leur étalage, la nouvelle industrie qui fleurit : les suppléments alimentaires. À l’ère de la surabondance des émissions et des livres culinaires, n’est-il pas ironique de voir, du même souffle, une émergence certaine des suppléments en poudre, des repas en comprimé et autres fast-food en capsule ?
Les suppléments au service de la modernité
L’humain, de nature complexe, conçoit souvent sa nutrition comme un casse-tête. Pourtant, les conseils fournis par l’Association des diététistes du Canada au sujet d’une bonne alimentation n’ont rien de sorcier. Un large éventail de produits frais, des repas complets suivant le Guide alimentaire canadien et une bonne dose d’activité physique devraient permettre à tout un chacun d’atteindre un bien-être corporel satisfaisant.
Pourquoi existe-t-il alors autant de produits sur le marché servant à compenser notre carence en vitamines, en énergie ou en protéines ?
Selon Lucia, employée au Liquid Nutrition, « les suppléments de vitamines servent à compléter l’alimentation qui n’est plus ce qu’elle était il y a cinquante ans ». En effet, la vitamine D est un bon exemple de ce qu’a fait la modernité à notre santé. Avec l’industrialisation, par exemple, lors de la transition du travail au champ vers le travail en usine, les gens maintenant confinés à l’intérieur ont développé des carences en vitamine D, une vitamine qui se synthétise uniquement grâce à la lumière du soleil. Le lait, un des aliments les plus consommés, a donc été enrichi de vitamine D pour combler ce manque. Certains yogourts et la margarine s’ajoutent au lait comme sources riche en vitamine D ajoutée.
Dans l’assiette des sportifs
Pourquoi achète-t-on ces produits ? « Mais parce que ça se vend ! La plupart des gens qui vont s’acheter des suppléments le font en pensant qu’ils ne mangent pas les bons aliments et ils font confiance aux gens de l’autre côté du comptoir pour les conseiller », affirme Sylvie Laramée, nutritionniste et diététiste membre de l’Ordre professionnel des diététistes du Québec.
Qui achètent ces suppléments de protéines ? « Les végétariens ou végétaliens qui veulent enrichir leurs repas, mais aussi les sportifs qui s’entraînent de trois à quatre heures par jour », précise Lucia. Mais attention ! De véritables spécialistes du culturisme font de cette tendance une véritable science. « Certains clients savent calculer exactement combien de suppléments alimentaires ils ont besoin et à quel moment les prendre,» ajoute Lucia. François Peronnet, professeur de kynésiologie à l’Université de Montréal, pense tout autrement : « Les athlètes, ils sont prêts à manger n’importe quoi dans l’espoir d’améliorer leur performance. Tout le rituel associé à l’ingestion des suppléments, ça fait partie de la mythologie autour du sport et de ce genre de produit ».
Et si les hommes semblent tant s’intéresser aux suppléments, les femmes ne sont pas en reste non plus. Dans la gamme de produits Vega, par exemple, les femmes y trouvent leur compte.
L’hypromellose, la microcrystalline, la cellulose et la silice se côtoient pour faire du produit « utile et complexe, l’ultime système de nutriments pour la femme active ». Indispensable, vraiment ?
Les suppléments, pour le meilleur…
Le corps a besoin quotidiennement d’environ un gramme de protéine pour un kilogramme de masse. Les produits laitiers, les viandes et substituts tels que le tofu, les noix, les légumineuses et les œufs sont des aliments riches en protéines. Lors de la digestion, les protéines se transforment en acides aminés et circulent dans le sang jusqu’à ce que les muscles s’activent.
À ce moment, les cellules musculaires retransforment les acides aminés en protéines. Ces dernières n’ont plus qu’à adhérer aux filaments musculaires et à augmenter la constitution du muscle. Ainsi, les athlètes désireux d’augmenter leur masse musculaire doivent consommer la bonne quantité de protéine pour avoir les moyens de leurs ambitions. C’est donc lorsqu’ils ne mangent pas la portion nécessaire que les suppléments protéinés peuvent paraître intéressants.
Roger Léveillé tient une boutique de nutrition et a entraîné plus de 500 athlètes. Selon lui, les jeunes sportifs ne prennent pas toujours le temps de bien manger, et c’est là que les suppléments peuvent être utiles. Toutefois, la consommation de protéines par la nourriture est amplement suffisante pour les athlètes. Tout ce qui est ingéré en plus de la quantité nécessaire sera excrété dans les urines ou transformé en graisse.
Non seulement les gains physiques, mais aussi les gains psychologiques demeurent à considérer. « Tout ça, c’est pour le culte du corps. Au temps des Grecs aussi, les hommes souhaitaient augmenter leur musculature. Maintenant, on peut simplement le faire plus vite avec des protéines en poudre », commente l’employée de Liquid Nutrition. Un jeune homme comme Charles-Antoine Montreuil, faisant du culturisme son gagne-pain, aime le body-building principalement parce qu’il souhaite amplifier sa masse musculaire. Il aime le style de vie associé à ce sport, il se sent plus en santé et performe mieux dans d’autres sports. Il considère aussi que les muscles incitent au respect, car les gens prennent plus au sérieux quelqu’un d’imposant. Ainsi, plus qu’un apport physique, la prise de muscle devient un soutien moral. Mais quel est l’équilibre à faire entre le physique et le psychologique ?
… et pour le pire !
Radio-Canada rapporte que « vingt-neuf pour cent des garçons de 16 ans veulent gagner du poids. Pour y arriver, le quart d’entre eux utilisent des suppléments alimentaires ».
Malheureusement, la plupart n’en connaissent pas les risques. « De nombreuses études ont démontré que, souvent, les substances affichées sur l’étiquette ne se trouvaient aucunement dans la bouteille, ou bien leur concentration pouvait être divisée ou multipliée par dix », déplore Dr Robert Foxford, ex-directeur médical de l’équipe olympique canadienne en entrevue pour Radio-Canada. À l’heure actuelle, l’Agence canadienne d’inspection des aliments dresse une liste de cinquante-neuf substances et herbes dont l’usage est interdit dans les produits de nutrition sportive. Parmi ceux-là, est comptée la caféine qui ne devrait apparaître que dans les boissons gazeuses et de type cola.
Sylvie Laramée pense que la prise de protéines et de suppléments alimentaires en format liquide est un : « danger si le niveau de satiété n’est pas atteint lors de la prise des smoothies de suppléments. De plus, certains produits ne contiennent pas nécessairement tout ce qui est nécessaire à un repas complet ».
Si l’on se fie aux dires de François Peronnet, la prise de suppléments alimentaires n’en vaut pas la chandelle puiqu’elle semble n’avoir aucun effet : « La littérature scientifique [on peut penser, entre autres, à une étude faite en 2009 par le American College of Sports Medicine] le dit : pour quelqu’un qui suit bien le guide alimentaire canadien, il n’y a aucun bénéfice à prendre des suppléments protéinés. » « S’il y en a autant sur le marché, c’est que quelqu’un en achète… et qu’il y a quelqu’un qui en profite », renchérit Monsieur Peronnet. Ce n’est pas peu dire, car les coûts associés à l’achat des suppléments peuvent être faramineux. Les produits Vega par exemple, vendus en grande quantité au Liquid Nutrition, coûtent de 2,95$ pour une barre énergétique jusqu’à 75,00$ pour l’«optimiseur de santé ». Ainsi, la prise de supplément fait doublement serrer la ceinture… Madame Laramée révèle « que le lait au chocolat a le même effet à moindres coûts ».
Dans les muscles ou dans la tête ?
Ian Civitella n’avait jamais pratiqué d’activités sportives sur une base régulière avant de commencer à s’entraîner au gym. Depuis un an, il sent qu’il se porte mieux en général et tombe moins souvent malade. Sans hésitation, il associe l’entraînement à la bonne forme. Mais maintenant qu’il a des objectifs, il veut les atteindre le plus tôt possible. « Lorsque je prends une poudre énergétique avant de m’entraîner, je peux mieux me concentrer sur le muscle à travailler et ça me permet de lever des poids plus lourds. » Quand aux suppléments protéinés, il les prend scrupuleusement après l’effort et demeure convaincu de leur efficacité. « Ce que les gens ne comprennent pas, c’est que la prise de suppléments est souvent accompagnée d’un regain d’effort au gym. Il est donc impossible de savoir quelle est la cause du gain musculaire », précise
Sarah Lemelin, étudiante en médecine à McGill.
Qu’en est-il de l’éthique du sportif ? Dépasser ses limites grâce à la chimie des protéines et des boissons énergétiques peut-il être analogue au problème de dopage ? Peronnet, qui a notamment étudié la nutrition des athlètes et les problèmes relatifs au dopage, s’oppose farouchement à la question : « Ça ne fonctionne pas, donc il n’y a pas de problème éthique ! » Parfois incorrectement étiquetés, certains produits peuvent receler la présence de stéroïdes anabolisants ou d’hormones de croissance, Créant ainsi un souci éthique. « Dix à quinze pourcent des suppléments alimentaires vendus librement sont contaminés », indique Christiane Ayotte, chercheuse à l’Institut national de recherche scientifique. Si les conséquences apparaissent essentiellement au niveau biologique (apparition de boutons, débalancement des protéines du foie et des fonctions hépatiques, mauvais taux de cholestérol, donc des risques d’accidents cardio-vasculaires), elles peuvent aussi être désastreuse pour la carrière d’un athlète qui performe dans des compétitions de haut niveau. En 2001, le cas du sprinter français Christophe Cheval a fait les manchettes lorsqu’il a dû suspendre sa carrière pour cause de consommation de norandrostérone. Le coureur de 200 mètres aurait consommé des suppléments alimentaires contenant des stéroïdes ne figurant pas sur la liste d’ingrédients. Dans ce cas, les suppléments alimentaires auront eu un effet totalement contraire à celui espéré, soit d’augmenter la performance de l’athlète.
Mode passagère ou habitude permanente ?
Selon Sylvie Laramée, « c’est quelque chose qui s’installe dans les habitudes parce que les étudiants ne cuisinent pas. Les suppléments de repas sont bons au goût, rapides, efficaces, donc c’est facile de tomber dans le panneau et d’acheter ce qu’il y a d’offert sur le marché. »
Quant aux nombreux livres de cuisine sur le marché, ils ne semblent pas si utiles si on se fie aux dernières études : « Maintenant, il faut qu’il y ait moins de cinq ingrédients et que ça ne prenne pas plus de quinze minutes à préparer », dit la nutritionniste.
Depuis Lavoisier qui, en 1789, a jeté les premières bases de la science de la nutrition, le terme diététique a beaucoup évolué, mais demeure, encore et toujours, synonyme d’un mode de vie.
Bien s’alimenter, c’est aussi avoir du plaisir à manger et à prendre le temps de partager un repas avec ceux qu’on aime. La tendance actuelle bouleverse-t-elle cet équilibre en tentant de convaincre la population des propriétés bénéfiques des capsules alimentaires ?