La pièce que l’on connaît, survoltée et dérangée, est ici reprise de manière plus intimiste et moins explosive, et est mise en scène par Emilie Alexandre. Derrière les mots singuliers du texte de Jean-Luc Lagarce se cache une poésie touchante propre au metteur en scène. Rien n’est laissé au hasard. Les mouvements sont millimétrés ; le jeu l’est tout autant. Les battements d’une musique magiquement bien ficelée laissent des moments silencieux pendant lesquels le spectateur s’immisce encore un peu plus dans la vie de Louis (interprété par Jérémie-Clément Pallud). Vicieux et mystérieux, l’homme atteint du sida décide, comme une dernière obligation, de retourner voir sa famille pour un adieu subtil et glaçant. Le spectateur est enfermé avec cette famille où tout le monde se comprend sans que personne ne puisse se l’avouer.
Du film à la pièce
À la vue du titre, comment ne pas penser à l’adaptation cinématographique de Xavier Dolan ? Après un tel succès, il est difficile de ne pas avoir en tête certains moments marquants du film, qui pourraient revenir inconsciemment lors de la mise en scène. Toute la réussite de la pièce se fonde là-dessus : s’inspirer du film, s’en rapprocher, tout en amenant une touche personnelle poétique et un parti pris scénaristique.
Les décors principaux rappellent ceux du film – cependant, le temps nous réserve des surprises qui ravissent l’œil et font battre le cœur. L’inattendu surgit magiquement, ravissant le spectateur, qui aurait pu se perdre dans des monologues légèrement longs. Presque tous les personnages reprennent les traits de ceux interprétés par Marion Cotillard, Nathalie Baye, Léa Seydoux, Vincent Cassel ou encore Gaspard Ulliel, tout en apportant leurs brins de personnalité et d’émotions. Suzanne, la sœur de Louis (interprétée par Hélène Hullin) est un mélange pétillant d’enfant au cœur triste et de jeune adulte désillusionnée qui émeut le spectateur tant par la générosité de son jeu que par l’émouvante énergie qu’elle fait ressentir.
Sortie (presque) comblée
Malgré tous les bons côtés, un seul élément peut rester en travers de la gorge : l’absence de réelle violence. Qu’elle soit verbale ou physique, la pièce traite d’un sujet sensible au sein d’une famille où tout va mal. Le personnage d’Antoine (interprété par Martin Frébourg) est violent dans ses mots sans pour autant faire frémir le spectateur. Au cours de la pièce, on ressent la colère, la jalousie et l’incompréhension du personnage face à son frère Louis. Cependant, ce qui aurait pu être un crescendo explosif n’est malheureusement qu’une montée énervée vers un dialogue, émouvant certes, mais qui peine à convaincre complètement. Catherine, la femme d’Antoine, (interprétée par Sarah Foulkes) est contre toute attente par moments plus terrifiante que son mari, tant par son jeu que par l’intensité qu’elle donne à ses propos. La violence verbale est là, dire le contraire serait mentir ! Elle est présente chez tous les personnages à un niveau différent, quid de la violence physique ? Sans prôner le déchainement et l’excès, une corporalité plus affirmée aurait pu nous ravir complètement et nous faire sortir comblés et terrifiés.