Le Prix littéraire des collégiens du Québec célébrait cette année sa 16e édition. Ce prix, l’un des plus importants dans l’industrie littéraire québécoise, offre l’occasion à quelque 800 étudiant·e·s de 62 cégeps de développer leur esprit critique, à travers la lecture de cinq œuvres issues de la littérature québécoise actuelle, choisies préalablement par un jury. Une bourse de 5000 dollars est offerte à l’autrice ou à l’auteur du roman préféré par les étudiant·e·s.
Véritable joyau pour la promotion de la littérature auprès des jeunes, le Prix est orchestré chaque année par des professeur·e·s de littérature des quatre coins du Québec. Il devient pourtant de plus en plus périlleux pour le comité organisateur d’accéder à des subventions suffisantes pour couvrir l’étendue des frais reliés à ce grand rassemblement culturel.
L’édition 2019 compromise
À l’annonce de l’édition 2019 du Prix, une vague de protestations a raflé la communauté littéraire collégienne et l’industrie du livre plus généralement. C’est que le géant Amazon, reconnu comme une menace imminente pour tout commerce local, allait être cette année le bailleur de fonds principal du Prix.
Le logo Amazon, bien plus qu’un simple commanditaire, représente l’asservissement de notre littérature, qui doit taire son microcosme culturel et s’adapter aux industries gargantuesques qui assureront peut-être sa pérennité.
Là est du moins la volonté des organisateur·rice·s du Prix : faire perdurer cette tradition littéraire, lui donner les moyens de ses ambitions. Cette affiliation avec Amazon témoigne de la pauvreté non pas de la culture, mais de ses moyens de diffusion. Frapper aux portes du gouvernement, nous dit Benoit Lemieux, coresponsable du Prix, c’est accéder à des financements trop modestes pour faire respirer adéquatement tou·te·s les acteurs et actrices impliqué·e·s. Et voilà qu’Amazon arrive, proposant de leur donner à tous et à toutes un souffle nouveau — un montant significatif, capable de les faire vivre encore, au minimum pour l’édition 2019.
Alors, plutôt que de s’essouffler ou de mettre le Prix sur respirateur artificiel, les responsables ont accepté.
Représailles d’un choix difficile
Ce que les organisateur·rice·s avaient redouté s’est toutefois concrétisé : la communauté entourant le Prix n’a pas su avaler le fruit pourri que représentait pour eux cette alliance. L’Association des libraires du Québec (ALQ) a demandé au Prix de rompre ce partenariat.
Des professeur·e·s, anciens ou actuels membres du Prix, se sont consterné·e·s, certain·e·s ayant même décidé de ne pas organiser le Prix dans leur école. Des étudiant·e·s ont exprimé leur mécontentement, que ce soit par le biais de la page Facebook du Prix ou par des messages envoyés directement aux responsables.
Amazon, ce géant rival, dérange surtout par la menace imminente qu’il représente : quelle place une multinationale aux prix imbattables laisse-t-elle aux petites librairies indépendantes du Québec ? À l’ère numérique, alors qu’un·e Québécois·e sur deux dit acheter en ligne, comment préserver une littérature d’ici, si ce n’est par le biais d’institutions indépendantes qui ont à cœur le Québec et sa culture ?
En cautionnant ce genre de plateforme monopolisante, le Prix envoie aux étudiant·e·s un message clair : acheter sur Amazon est la solution. Il fait la promotion d’une compagnie qui n’a nullement besoin de la culture québécoise pour survivre, et balaie de la main la problématique de ces ventes à moindre prix sur le milieu du livre.
Véritable bouffeur d’économie locale, Amazon tend à créer un précédent, une porte ouverte vers la fin d’une culture nationale, au profit d’une mondialisation sans cesse grandissante.
Face aux représailles d’une telle décision, les organisateur·rice·s avaient annoncé au mois de décembre dernier la suspension de l’édition 2019.
Redéfinir les priorités
À la suite de nombreuses réflexions et au mécontentement de la communauté littéraire – navrée qu’un évènement culturel de cette envergure soit avorté – les organisateurs ont finalement décidé que le Prix littéraire aurait bel et bien lieu en 2019. Préférant y aller de l’avant avec un Prix un peu moins ambitieux que ce que les fonds promis par Amazon auraient permis, ce sera la Fondation Marc Bourgie, fondatrice du Prix, qui assurera encore une fois cette année la pérennité de l’évènement.
Décision difficile, certes, mais nécessaire, selon les organisateurs, qui ne souhaitaient pas pénaliser l’accès à la culture à des centaines de jeunes à travers la province. Le Prix est également une plateforme importante pour les autrices et auteurs, qui reçoivent, disons-le, si rarement de reconnaissance dans une société où le livre, à titre d’objet culturel, est de moins en moins prisé.
L’épineuse survie du Prix littéraire ne serait-elle au fond qu’un symptôme d’un Québec en mal de racines ? Car la culture n’est-elle pas justement cette terre fertile, commune, sur laquelle ceux·celles d’hier comme ceux·celles de demain bâtiront ?