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Safe spaces et liberté d’expression

Sigal Ben-Porath, auteure de Free Speech on Campus, livre ses idées aux Mcgillois·e·s.

Paul Lowr | Le Délit

Sigal Ben-Porath, professeure d’éducation et de philosophie à l’Université de Pennsylvanie, est passée à McGill le 8 février dernier pour une conférence portant le nom de son livre, Free Speech on Campus. Elle explique dans cet ouvrage, et c’est le premier point qu’elle aborde lors de son intervention, qu’on ne peut définir un campus comme n’importe quel autre espace de la sphère publique. Ainsi, repenser la pratique de la liberté d’expression en son sein lui semblait nécessaire, alors que de nombreux conflits y étant liés se sont enchainés dans les campus américains au cours des dernières années.

Un espace unique

Bien que le campus universitaire soit public et démocratique, « les types de discours y sont différents que dans la sphère publique en général », affirme-t-elle. Alors que la sphère publique devrait demeurer neutre, c’est-à-dire, où l’on ne peut discriminer les différents discours selon leur contenu, « les campus constituent une entité entièrement séparée », du fait de la singularité de leur mission, englobant la recherche de la connaissance et la préparation à la démocratie. Seulement, cette mission, explique Sigal Ben-Porath, se serait transformée. L’on veut éduquer encore plus d’étudiant·e·s, et de manière plus diversifiée et les politiques mises en place dans l’ensemble de la sphère publique ne s’enlignent pas toujours avec cet objectif. C’est donc aux universités que reviendrait le devoir de promouvoir une « liberté inclusive », une liberté d’expression qui tend à être diversifiée et inclusive. 

Pour atteindre cet objectif, la professeure témoigne du besoin fondamental de reconnaître l’inégalité des charges que portent les étudiant·e·s face à cet enjeu. Seulement après avoir admis ces disparités peut-on, selon elle, travailler à créer un climat d’expression inclusif. 

Qu’est-ce-qu’un safe space ?

La notion de climat sécuritaire, ou de « safe space  » peut être comprise de multiples façons, fait comprendre Sigal Ben-Porath. Le recteur de l’Université de Chicago, en 2016, avait envoyé une lettre à ses étudiant·e·s déclarant : «  Notre engagement en faveur de la liberté académique implique que nous ne soutenons pas les « trigger-warnings » (avertissement écrit ou oral qu’un concept abordé pourrait redéclencher un traumatisme psychologique, ndlr) », […] et ne tolérons pas la création de safe spaces intellectuels ». L’intention était de communiquer l’idée que l’Université ne devrait pas limiter la réflexion intellectuelle et devrait plutôt être un espace de prises de risques. Mais selon la professeure, il y aurait une distinction entre la prudence intellectuelle et la prudence face à la dignité de l’autre. La première, en effet, irait à l’encontre du développement académique, mais la deuxième serait impérative. Cette « dignitary safety » se traduirait par le fait de voir l’autre comme un égal, et comme un individu invité à participer à la conversation.

 Il y aurait une distinction entre prudence intellectuelle et prudence face à la dignité de l’autre. La première, en effet, irait à l’encontre du développement académique, mais la deuxième serait impérative

Priorité aux étudiant·e·s

Sigal Ben-Porath a beaucoup insisté sur le rôle primaire des étudiant·e·s, tout d’abord parce que les conversations importantes, au-delà de la salle de classe, se déroulent au sein de groupes étudiants et lors d’événements sociaux. Les groupes étudiants devraient, selon elle, avoir la mainmise sur qui ils veulent inviter sur leur campus. En septembre 2017, la société fédéraliste de l’Université de Pennsylvanie, un groupe d’étudiant·e·s conservateur·rice·s, invitait Heather MacDonald, auteure d’un livre clamant que la violence policière n’était qu’une idée fausse répandue par des groupes tels que Black Lives Matter. Rien n’a été fait pour l’empêcher de venir, mais une manifestation pacifique militant contre les positions de l’invitée et soutenant Black Lives Matter a été organisée en contrepartie devant le bâtiment. Cet exemple illustrerait sa vision d’une bonne utilisation de la liberté d’expression universitaire.

Tout de même, ajoute-t-elle, l’Université se doit d’assurer la sécurité de tous, par le biais de la police du campus, par exemple. Certaines des critiques de son livre, comme celle de The Economist, trouvent ses idées pertinentes mais leurs applications pratiques encore trop vagues. Au cours de la période de questions, beaucoup d’interrogations sont restées sans réponse : comment s’assurer que l’administration ne joue en faveur de personne en encourageant les initiatives de groupes étudiants ? Jusqu’où devrait s’étendre le pouvoir des étudiant·e·s en termes de liberté d’expression ? Ceux· celles-ci ne devraient par exemple pas, selon elle, avoir de pouvoir sur le contenu de leurs cours. La discussion reste donc inachevée.ξ


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