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Qui est Kent Monkman ?

Une brève introduction à l’artiste, son œuvre et son alter-ego. 

Béatrice Malleret | Le Délit

Le critique d’art Hal Foster écrit à propos des artistes d’archives « qu’iels cherchent à rendre l’information historique égarée ou occultée présente physiquement. » Si Kent Monkman ne se définit pas lui-même comme tel, son travail réalisé ces deux dernières décennies illustre de manière probante la définition de Foster. Qu’il s’agisse de peintures monumentales, d’installations immersives ou de performances volontairement provocatrices, les œuvres de Monkman se réapproprient et détournent une imagerie coloniale encore institutionnalisée pour mettre en lumière de multiples narrations autochtones auparavant réduites au silence. 

Cette exploitation des canons de l’histoire de l’art occidentale, où une parfaite imitation technique permet à l’artiste de soulever avec une ironie cinglante la question de l’authenticité des œuvres que lui-même « plagie », n’a pas toujours fait partie du processus créatif de Monkman. L’artiste de descendance crie et irlandaise a en effet débuté sa carrière en explorant le genre abstrait. Mais cette technique picturale s’est rapidement avérée inadéquate pour exprimer une idée qui l’animait depuis le début – celle de transmettre une partie du vécu et de la culture des populations autochtones tout en dénonçant le traitement que ces dernières subissent depuis plus de 400 ans. C’est ainsi qu’il se plonge dans les archives connues et moins connues du patrimoine canadien, américain et européen et qu’il commence à employer la peinture figurative pour émettre un commentaire politique sur des travaux jugés auparavant seulement pour leurs qualités artistiques. 

Monkman e(s)t Miss Chief 

L’époque durant laquelle Monkman se tourne vers le figuratif coïncide avec l’émergence dans son travail de la figure de Miss Chief Eagle Testickle. Née de sources d’inspirations diverses, Miss Chief est l’alter ego trans de l’artiste, présente dans la majorité de ses œuvres. Arborant généralement des talons d’une hauteur vertigineuse, elle porte une coiffe en plume typiquement « indienne », aussi longue que la liste des clichés nourris à propos des cultures autochtones. La célèbre chanson Half-Breed de Cher et les êtres de deux esprits – historiquement des personnes autochtones considérées comme appartenant au troisième genre – ont contribué à la construction de l’identité de Miss Chief. 

En usant à outrance des clichés sur le genre et la race pour pouvoir mieux les renverser, Miss Chief voyage à travers les époques et va à la rencontre de la figure du colon blanc. Avec beaucoup d’humour et autant de références culturelles que religieuses, Miss Chief inverse les rôles que nous n’avons que trop l’habitude de voir : elle devient la figure dominante qui fait de l’homme blanc ce dont elle a envie. Ainsi, dans le tableau The Daddies, on peut la voir posant nue devant les pères de la Confédération. Dans Study for Artist and Model, elle entreprend le portrait ethnographique d’un cow-boy dont le jean est baissé autour de ses bottes et dont le corps est transpercé de flèches, rappelant la figure chrétienne de Saint-Sébastien. 

Ainsi, Kent Monkman et Miss Chief abordent – le plus souvent avec humour – des sujets qui ont des répercussions à la fois individuelles (pour l’artiste) et collectives (pour la communauté Crie et les populations autochtones plus largement). Si ce regard cynique est presque toujours présent, le travail de Monkman ne perd jamais de sa solennité et adopte parfois un ton plus grave lorsqu’il traite de plaies encore ouvertes. Ce ton est celui qui domine dans l’exposition Honte et Préjugés, Une Histoire de Résilience, l’exposition au musée McCord qui a ouvert ses portes le 8 février.


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