Au Québec, il semblerait que rien n’importe plus, individuellement et collectivement, que la santé. Selon un sondage publié sur Radio-Canada en 2018, le système de santé constituait le facteur le plus important chez les électeurs lors des élections provinciales d’octobre dernier. Les habitants du Québec sont d’accord presque à l’unanimité sur le fait qu’un système de santé universel est une bonne chose – pour des raisons économiques ou d’égalité sociale. Un système de santé universel peut guérir les maux, mais comment les prévenir ? Pourquoi tombons-nous malades en premier lieu ?
Notre corps est habité par nos expériences, et celles-ci sont façonnées par notre environnement. Ce qui implique donc que la manière dont nous organisons notre société peut s’avérer positive ou négative pour ce qui est de l’effet que ses structures peuvent générer sur notre santé. Divers indicateurs comme l’espérance de vie, le taux de mortalité infantile, le taux de mortalité des jeunes, le nombre d’années à vivre en bonne santé, les habitudes de vie, etc. sont analysés par le gouvernement provincial afin d’obtenir un portrait de la santé de notre population. On se rend compte que dans certaines régions de notre métropole québécoise, notamment les régions ayant un grand nombre de personnes vivant dans la pauvreté, les statistiques s’avèrent être négatives en comparaison à celles obtenues dans des régions plus privilégiées. Il y existe un gradient social dans les statistiques sur notre santé. Certes, les personnes privilégiées sont au haut de l’échelon, mais on constate que même les personnes défavorisées sont moins susceptibles d’être malades ou hospitalisées que les personnes très défavorisées, et ainsi de suite pour toutes les catégories de revenu, et ce en dépit de notre système de santé universel.
De l’argent pour notre bien-être
Selon l’Agence de la santé et des services sociaux de Montréal (CISSS et CLSC), « Les familles monoparentales, les personnes qui vivent seules et les immigrants font généralement partie des groupes vulnérables de la société. Ces personnes sont plus susceptibles que les autres de vivre avec un faible revenu et de devoir composer avec les divers problèmes qui découlent des inégalités sociales de santé. » Des écarts de santé importants se creusent à Montréal, surtout en ce qui concerne les groupes vulnérables. Encore selon la CISSS et la CLSC, les ménages qui vivent avec un revenu inférieur au seuil de la mesure du panier de consommation, courent des risques importants pour leur santé.Ils sont plus susceptibles que les autres de rencontrer des obstacles quant à l’accès aux soins, d’être mal logés et de ne pas pouvoir consacrer une part adéquate de leur budget à une alimentation saine. Les personnes aux revenus les plus faibles se privent bien souvent d’acheter les biens et les services qui leur permettraient de maintenir ou d’améliorer leur état de santé.
La pauvreté a même des conséquences néfastes sur nos enfants, en particulier au cours des premières années de leur vie. Ces années sont déterminantes pour leur santé immédiate, mais également pour leur développement physique, langagier et psychologique. Une étude effectuée près de l’Enquête longitudinale des enfants du Québec a notamment démontré à quel point la pauvreté vécue avant la naissance et à un très jeune âge peut influencer l’état de santé et l’espérance de vie à l’âge adulte, et ce, même lorsque la pauvreté est temporaire. De plus, pauvreté rime souvent avec faible soutien social. La situation est peu documentée, mais une chose est certaine, la pauvreté constitue un obstacle à l’accès aux soins de santé, et vraisemblablement, les soins prénataux ne font pas exception. Déjà en 1997, le Conseil national du bien-être social (CNBES) signalait qu’en dépit d’un système de soins universels, « les femmes démunies et peu scolarisées étaient moins suivies pendant leur grossesse, que ce soit en raison de problème de transport ou de réticence de leur part. Les lacunes du système, les services parfois dispersés et le manque de coordination de l’action des intervenants constituent des problèmes additionnels. »
Stress et subordination sociale
Selon l’Agence de la santé et des services sociaux à Montréal, par comparaison avec d’autres grandes villes du monde et du Canada, vivre à Montréal coûte relativement peu cher. Mais, pour les personnes à faible revenu, bénéficiaires d’aides sociales et travailleurs pauvres, les revenus ne suffisent pas toujours à se nourrir convenablement, à se déplacer et se vêtir une fois le loyer payé. Dans ces conditions, le moindre imprévu représente une source additionnelle de stress. Or, le stress que connaissent les personnes ayant peu de moyens est extrêmement néfaste à leur santé. Il s’agit donc, un stress qu’on appelle « de subordination sociale ».
De plus, selon l’Observatoire de la prévention de l’Institut de cardiologie de Montréal, « le mécanisme de défense psychologique et physique face à des menaces extérieures répétées auxquelles on ne peut échapper », c’est-à-dire le stress, « est une cause de déclin sur la santé. » Lorsqu’une situation génératrice de stress survient, notre corps réagit en sécrétant du cortisol et de l’adrénaline. Le cortisol augmente la pression artérielle, le taux de sucre sanguin et inhibe le système immunitaire. En temps normal, une fois le danger disparu, tous les paramètres reviennent à la normale. Cependant, chez les gens qui sont soumis à un stress permanent, ce mécanisme ne se met jamais en veille. En prenant en compte la différence entre les taux de stress de subordination sociale des personnes favorisées et défavorisées, on en déduit que le stress n’est pas également et justement réparti sur cette hiérarchie. L’accumulation de contraintes et de ressources pour les gérer sont déterminées en grande partie par la classe sociale.
Le racisme et son effet sur la santé
Lorsque l’on analyse les effets des inégalités sociales sur la santé, il faut également prendre en compte l’obstacle supplémentaire que constitue le racisme. Selon la Ligue des droits et libertés, l’accès aux soins peut faire l’objet de toute sorte de discriminations racistes, moins visibles que le refus de soins mais potentiellement dangereuses : les soins sont certes reçus, mais de moindre qualité, après un temps d’attente plus long, ou dans le cadre d’une interaction plus brève avec les soignants. Plus insidieux encore sont les stéréotypes qui ne sont pas ouvertement péjoratifs mais qui pourtant justifient des pratiques soignantes différentes et finalement défavorables. Par exemple, mettre les maladies des personnes racisées sur le compte de leurs « spécificités génétiques » plutôt que de s’interroger sur les déterminants sociaux de ces maladies. La santé compte bien d’autres déterminants que les soins, et les discriminations racistes entravant l’accès à des ressources potentiellement protectrices pour la santé sont innombrables : dans l’accès à l’emploi, à l’éducation, au logement à la justice, etc. Toutes ces discriminations ont des effets sur les revenus des personnes racisées. Ainsi, lorsque des minorités raciales sont en moins bonne santé que les groupes non-racisés, c’est donc souvent en bonne partie parce qu’elles font partie de communautés défavorisées.
L’injustice sociale rend malade et tue.
En addition, revenant sur les effets du stress de subordination sociale sur la santé, le niveau de stress et de cortisol sont liés au sentiment d’appartenir à une communauté victime de racisme – un stress chronique – et renouvelés à chaque perception d’une nouvelle discrimination raciste – un stress aigu. Ces deux grandes avenues que suit le racisme pour affecter la santé ne sont pas exclusives et peuvent même se renforcer mutuellement. Selon le Centre de collaboration nationale des déterminants de la santé, pour atteindre l’équité raciale, les acteurs de la santé publique doivent lutter contre le racisme, en prenant en compte les dynamiques coloniales de peuplement, le racisme structurel, le pouvoir et les privilèges qui sont reproduits dans le système de santé québécois.
L’injustice sociale rend malade et tue. Toutefois, les inégalités sociales de santé sont tout à fait évitables. C’est pourquoi il faut que les autorités locales et régionales mettent en œuvre des politiques sociales conséquentes et effectuent les changements pour atteindre une égalité dans la santé.