Mise en garde : ce texte parle de troubles alimentaires.
« Vraiment, ça existe ? », c’est ce qu’un ami m’a répondu quand j’ai dit que je lisais un roman sur l’anorexie masculine. C’est à ce moment que j’ai réalisé l’importance qu’avait le livre dans mes mains pour la littérature québécoise. Ce roman de Simon Boulerice m’a ouvert les yeux sur un problème très peu représenté. L’anorexie, bien que beaucoup moins présente chez les hommes que chez les femmes, touche tout de même la gent masculine, qui constitue 10% des personnes atteintes de cette maladie. L’auteur aborde ici une thématique très personnelle, ayant lui-même souffert d’anorexie plus jeune, et ayant été confronté à un mur d’incompréhension de la part d’une amie à qui il s’était ouvert, qui ne croyait pas qu’un garçon puisse avoir cette maladie. Simon Boulerice souhaitait ajouter une œuvre dans la littérature québécoise qui traiterait de cette maladie, sans en faire pour autant son sujet principal. Plutôt, était-il question de normaliser une problématique qui devrait selon lui être présente à notre esprit. Sans faire poindre l’anorexie masculine de manière ostentatoire, elle doit pouvoir exister dans un corpus littéraire comme plusieurs autres troubles de santé mentale le font, c’est-à-dire acceptés en tant que présence dans la vie commune. C’est dans l’ordinaire que certains phénomènes se révèlent à nous, trop affolants autrement.
Jeanne Moreau a le sourire à l’envers nous présente Léon, un jeune adolescent attachant de la rive sud de Montréal qui se plaît à analyser l’écriture de sa famille et celle de sa correspondante de Lévis, Léonie. Ses pellicules et son corps, pas assez musclé à son goût, le dérangent, mais son meilleur ami Carl et sa chère correspondante ne semblent pas s’en incommoder. Le roman raconte la première rencontre entre les deux jeunes correspondant·e·s, alors que Léonie vient enfin visiter Léon sur la rive sud de Montréal. On suit alors cette relation qui sort de son exclusivité épistolaire et on assiste à la fébrilité d’avoir enfin des échanges de vive voix. Simon Boulerice est rusé et aborde habilement l’anorexie en parallèle avec les plans excitants de la vie de Léon.
Alors que Boulerice nous présente l’histoire de Léon en premier plan, c’est par l’entremise d’un personnage secondaire que l’auteur aborde une situation mise elle aussi au second plan. Le frère de Léon, Antoine, aime les vieux films français de la Nouvelle Vague et, selon l’étude graphologique de Léon, semblerait être porté à vivre dans le passé. Antoine semble être souvent malade après les repas, disant à sa famille avoir « un estomac fragile ». Le garçon aux pellicules, sympathique et en apparence ouvert d’esprit, ne voit pourtant pas la maladie de son frère, qu’il a sous les yeux. Cela prendra une situation beaucoup plus dramatique que la maigreur alarmante de son frère pour lui faire voir la malheureuse vérité, soit que son frère souffre d’anorexie. L’auteur me disait à ce sujet en entrevue (« J’ai envie de nommer ma vérité », entrevue dans l’édition du Délit parue le 15 janvier 2019, ndlr) qu’« on a tous des préjugés inconscients ». C’est ce que son roman essaie de nous montrer, en suivant l’angle d’une personne, une famille à laquelle on peut s’identifier. Cet entrelacement de la quotidienneté avec la tragédie d’une famille comme les autres attise notre empathie pour la triste réalité que vivent plusieurs d’entre nous, en plus de nous permettre d’avoir un regard sur une partie cachée de l’anorexie.