Comment vivre après l’apocalypse ? Le roman La Route, de l’écrivain américain Cormac McCarthy, récompensé du prix Pulitzer, offre une possible réponse à la question. La vie sur terre est presque éteinte suite à un choc dont on ignore la cause. Tous les éléments classiques d’un monde post-apocalyptique y sont réunis : des cendres qui recouvrent tout, un brouillard froid qui bloque le soleil et surtout, des ressources qui se font si rares qu’elles rendent la survie presque impossible.
Un père et un fils
Un petit garçon et son père, jamais nommés, marchent à travers ce qui était autrefois les États-Unis, essayant d’atteindre le sud pour échapper au froid mortel de l’hiver. Ils doivent se déplacer à pied puisqu’il est devenu impossible d’alimenter toute sorte de véhicules, et ne transportent avec eux qu’un caddie de supermarché, chargé de leur matériel de survie – des bâches, des couvertures et quelques objets ramassés.
On est encore les gentils ? Dit-il.
– Oui, on est encore les gentils.
– Et on le sera toujours.
– Oui. Toujours.
– D’accord.
Les deux personnages frôlent toujours la mort. La faim, la fatigue et le froid les guettent à chaque instant, mais un autre ennemi les menace : des groupes de personnes qui survivent encore, faisant fi de toutes valeurs humaines, blessent, violent et tuent sans aucun remords. Plusieurs se nourrissent aussi de leurs victimes. Dans ce monde chaotique, il y a les « méchants » et les « gentils », selon les termes de l’enfant. Tout au long de leur chemin, les deux personnages se répètent sans cesse appartenir au second groupe, comme une prière : « On est encore les gentils ? dit-il. – Oui, on est encore les gentils. – Et on le sera toujours. – Oui. Toujours. – D’accord. »
Les dialogues sont toujours de ce style : rythmés par de très courtes répliques, comme si tous deux étaient continuellement à bout de souffle. C’est d’ailleurs ce qui nous fait vraiment croire à l’histoire : les personnages n’ont plus le courage de se lancer dans de grands discours, ou de grandes rigolades. Ce temps-là est révolu.
Une noirceur tendre
La Route déstabilise. Au tout début, on en sait très peu, seulement que ces deux êtres marchent ensemble vers ce qui semble être une vraie destination. Ils vivent mal, mais survivent. Seulement, au fur et à mesure, l’on réalise qu’eux-mêmes ne savent vraiment pourquoi ils continuent. Une sorte de Sur la route de l’enfer, où les personnages traversent des kilomètres non pas pour l’aventure et la liberté comme dans le roman de Kerouac, mais pour rester en vie sans vraiment savoir si ça en vaut la peine. Le monde dégénère et ne pourra jamais revenir à ce qu’il était avant.
La noirceur de La Route est si convaincante qu’elle vous emporte entièrement. Mais elle est contrebalancée par la beauté et la simplicité des échanges entre père et fils. Comment et pourquoi rester un « gentil » dans un monde qui n’a plus de sens et où ça n’apporte rien ? Pour eux, « porter le feu », comme l’enfant le répète constamment – ou choisir l’empathie et l’humanité – est la seule chose qui donne encore sens à leur route. La tendresse qu’ils se portent l’un vers l’autre prête une beauté surprenante à ce livre qui donne le vertige. Les deux personnages sont les seuls à pouvoir se relever l’un l’autre. Au cours de leur chemin, l’enfant dit ne pas connaître d’histoires qui finissent bien. Son père lui demande, dans un dialogue où leurs rôles semblent s’échanger : « La vraie vie est très cruelle ? – Qu’est-ce que tu crois ? – Eh bien, je crois qu’on est toujours là. Il nous est arrivé pas mal de mauvaises choses mais on est toujours là. – Ouais. – Tu ne trouves pas ça tellement formidable. – J’en sais rien. » La Route est sublime et brise le cœur. Et elle captive particulièrement alors que notre propre monde semble se désintégrer peu à peu.