La soirée a débuté avec la projection d’extraits de Trouble-fête, réalisé par Pierre Patry en 1964. Au début des années 1960, Lucien, étudiant en philosophie dans un collège classique, s’implique dans de nombreuses activités parascolaires et finit par affronter les autorités écclésiastiques après avoir voulu créer trop de changements au sein du collège. « Ce n’est pas tant une crise des valeurs qu’une crise d’autorité » explique d’ailleurs Jacques Godbout à propos de Trouble-fête. Le scénario de Jean-Claude Lord contient de multiples rebondissements et beaucoup d’action, s’inspirant des films américains grand public : chahuts divers, poursuites en voiture, scènes de manifestation. Au cours de la soirée, Pierre Patry se souvient de cette expérience de tournage et souligne son originalité pour l’époque : « Courir dans les couloirs avec la caméra, par exemple, ça ne se faisait pas. Les vieux de l’ONF [Office National du Film] nous prenaient pour des fous. Ça c’était dans la veine de la Révolution tranquille. »
Une jeunesse égoïste
Un extrait de Kid Sentiment, réalisé par Jacques Godbout en 1967, a ensuite été projeté. Le film met en scène deux garçons excentriques et superficiels qui font du charme à des jeunes filles dans les rues de Québec. Alors que les adolescents se retrouvent dans une maison, Kid Gogo et son ami ne font aucun effort pour communiquer avec les filles qui s’ennuient. Le réalisateur, cherchant à comprendre pourquoi les garçons évitent tout contact, intervient et interrompt la fiction. La conversation qui s’en suit donne au film des allures de documentaire : les jeunes dialoguent sur les valeurs de leur temps et expliquent pourquoi toute tendresse est « gênante » pour eux. La fiction reprend alors que l’on comprend que les jeunes sont, malgré la liberté qui leur est octroyée, plus réactionnaires que leurs parents. Jacques Godbout explique que cette scène d’interruption du film était une façon de provoquer les acteurs : « Les jeunes dans Kid Sentiment sont en fait des baby-boomers, des purs égoïstes qui croient pouvoir changer le monde avec une guitare. Je n’étais pas provoqué par leur comportement. Au contraire, cette scène était là pour les provoquer, eux. Ça me paraissait être une excellente façon de leur faire accoucher leur égoïsme. »
Qu’en est-il de la société d’aujourd’hui ?
Entre cinéma et histoire, les débats de la soirée ont dévié vers la société actuelle. Dans les discours de chacun on entend résonner cette phrase de Trouble-fête : « Il est bien facile de détruire, il est beaucoup plus difficile de construire. » Ainsi, Jacques Godbout n’hésite pas à critiquer ouvertement la société d’aujourd’hui, basée sur des acquis de la Révolution tranquille : « On a créé le ministère de l’Éducation à l’époque. Aujourd’hui, il faudrait l’abolir. Il n’y a pas d’autre système avec autant de fonctionnaires aux langages abscons. Ça ne sert à rien de perpétuer cette sclérose plus longtemps. Il faut changer. Les acquis, ça suffit ! » Pourtant, hors de question d’être amer pour l’écrivain cinéaste : « Je n’ai pas un regard sombre sur la société. J’ai confiance en la génération des moins de quarante ans. » Pierre Patry acquiesce avec humour et optimisme : « Moi, quand je vois mes petits-enfants, c’est de la science-fiction. Leurs cerveaux ne sont pas les mêmes que les nôtres. Je croyais que c’était juste comme ça au Québec parce qu’on avait tellement fumé, mais c’est universel. Mon espoir maintenant c’est de voir ce qu’il va se passer. » Et Jean-Claude Lord de conclure : « Ce sont les médias qui ne transmettent que sensationnalisme ou tristes nouvelles, alors qu’il y a des gens extraordinaires qui font des choses extraordinaires. »
La prochaine soirée aura lieu mardi le 28 septembre et s’intéressera au Ti-Pop, un mouvement culturel méconnu, tandis que celle du 5 octobre sera consacrée à la parole des femmes.