La politique urbaine montréalaise connaît actuellement une période de transformation. Des initiatives telles que le nouveau Règlement pour une métropole mixte ou le projet ambitieux de réaménagement du secteur des Faubourgs dans l’est du centre-ville sont deux exemples parmi bien d’autres d’un effort de démocratisation du processus d’aménagement du territoire. Ces démarches initiées par la Ville de Montréal tentent de faire de l’urbanisme une science plus ancrée dans les réalités quotidiennes de ses habitant·e·s.
Un héritage conflictuel
Malgré un passé marqué par une fragmentation socio-politique, Montréal se veut être un lieu d’entente où se rencontrent des intérêts divergents. D’après Jocelyn Maclure et François Boucher, tous deux chercheurs en philosophie éthique et politique à l’Université de Sherbrooke et de Montréal, une doctrine civique pluraliste a émergé au Québec dans le but de stabiliser les tensions provoquées par des sentiments nationalistes. Par le passé, la division sociolinguistique entre francophones et anglophones à Montréal se reflétait dans la manière même dont la ville était structurée. La langue était la ßmanifestation d’inégalités sociales et économiques considérables ; le cloisonnement de quartiers répartis de part et d’autre du boulevard Saint-Laurent les amplifiait. Ces relations conflictuelles ont simultanément façonné et été nourries par une certaine organisation du territoire. Durant la crise linguistique des années 1970, par exemple, les écoles ainsi que d’autres institutions publiques devenaient le terrain de jeu d’acteur·rice·s rivaux·ales dans la lutte pour ou contre la francophonie et parfois, par extension, pour ou contre l’indépendance.
Aujourd’hui, ces tensions se sont apaisées, mais les marques qu’elles ont laissées sur la ville demeurent. C’est pourquoi une nouvelle approche politique et philosophique est en train d’être mise en œuvre, dans le but de concilier des opinions divergentes et d’atténuer des clivages socioculturels et économiques encore très présents. Cette approche se caractérise par un effort de multiplication de voix citoyennes dans le domaine de gestion municipale, par le biais de mécanismes politiques qui font appel aux citoyen·ne·s, leur demandant de donner leur avis quant à la réalisation de nouveaux projets dans leur quartier ou arrondissement. Selon la Politique de consultation et participation publiques de la Ville de Montréal, il est primordial que tout·e Montréalais·e ait la possibilité et la capacité d’influencer les décisions publiques. La position de la ville s’aligne de ce fait avec la vision de Charles Taylor : Montréal doit être un milieu social soutenu par une pluralité d’acteur·rice·s et par une participation active de la part des citoyen·ne·s.
« Il est primordial que tout·e Montréalais·e ait la possibilité d’influencer les les décisions publiques »
La prolifération de cette stratégie municipale est évidente dans les espaces de délibération publique qui mettent en relation différentes sphères de la population. En pratique, la philosophie montréalaise fournit des espaces concrets pour l’engagement civique, avec des impacts qui se matérialisent de diverses manières. Maryse Chapdelaine, chargée de projet et porte-parole pour la Table de Quartier Peter-McGill, estime que le pilier central de la démocratie est la capacité d’être informé·e. Que ce soit par le biais de conseils consultatifs, de données de recherche rendues accessibles ou de surveillance démocratique de la part de l’ombudsman, l’accès à l’information permet aux citoyen·ne·s d’être toujours à proximité du processus décisionnel.
Un paysage urbain révélateur
Quand la ville devient sujet d’analyse, elle dévoile un tableau peint par la gouvernance. La forme urbaine n’est pas qu’une séquence de paysages. La propreté des rues, l’état des bâtiments, la fréquence des transports en commun et l’étendue des zones desservies, la présence d’installations culturelles agissent tous·tes comme indicateur·rice·s de la santé d’une démocratie. Le « cadre bâti » montréalais serait un pilier de la vie démocratique. En 2002, pour assurer l’accès des citoyen·ne·s au processus décisionnel dans le domaine de l’urbanisme, la Ville a mis en place l’Office de consultation publique (OCPM).
L’organisme, indépendant à la fois du secteur public et des entreprises privées, joue un rôle de médiation dans la gestion de l’espace public. Son mandat porte surtout sur des projets en urbanisme et en aménagement du territoire, ou tout autre projet soumis par le comité exécutif ou le conseil municipal. L’organisme a la capacité d’influencer les politiques majeures qui déterminent la forme de la ville, telles que le Plan d’Urbanisme de Montréal, les amendements de zonages et toute autre loi municipale imposant une forme particulière à la ville.
L’OCPM sert ainsi de contrepoids au monde lucratif de l’immobilier qui est particulièrement centré sur les intérêts privés et les profits, aux dépens, bien souvent, du bien-être des citoyen·ne·s. L’Office de consultation intervient dans un domaine qui a, pendant très longtemps, ignoré la volonté des personnes qui sont directement concernées par son processus décisionnel. Malgré une culture industrielle concentrée sur les revenus, l’OCPM se mobilise comme porte-parole de l’intérêt commun, et donne une voix au public – amplifiée lorsqu’une pluralité de segments sociaux est mobilisée – qui se matérialise par des projets urbains modifiés pour tenter de satisfaire les goûts et les intérêts de différents groupes au sein d’une même zone géographique. L’intervention de l’OCPM se matérialise avec des rapports soumis à la ville et faciles d’accès sur leur site Web. Dans le cadre du réaménagement de la rue McGill College au début de l’année, l’organisme a rédigé un rapport synthétisant les vœux du public, et a communiqué une liste de suggestions formulées par des professionnel·le·s pour un aménagement qui prend en compte les besoins de ses multiples usager·ère·s.
L’engagement civique en action
En créant des espaces de délibération publique, l’organisme est catalyseur de convergence sociale, d’accès à l’information et d’expression créative, dans le but d’activer la représentation civique au cœur même de l’urbanisation de la ville de Montréal.
Stéfanie Wells, secrétaire-analyste chez l’OCPM, lors d’un entretien, a mis l’accent sur le rôle essentiel des citoyen·ne·s dans l’aménagement de la ville. Wells explique très justement que les résident·e·s sont des expert·e·s du quotidien : les citoyen·ne·s eux·elles-mêmes font les observations les plus importantes par rapport à l’aménagement de la ville. Ceux et celles qui vivent, circulent, travaillent à Montréal sont essentiellement les plus équipé·e·s pour déterminer la forme et la fonction du « cadre bâti », et sont de ce fait les plus aptes à commenter sur l’aménagement futur du territoire urbain.
L’office s’assure de déployer des moyens tangibles, tels que des consultations publiques à grande échelle, pour tendre le micro aux citoyen·ne·s. Cependant, des espaces formels tels que des ateliers créatifs ou les consultations publiques peuvent poser des problèmes d’accessibilité pour certaines personnes. Pour assurer l’accès au processus décisionnel, des stratégies informelles ont été créées, telle que la mobilisation du contenu sur les réseaux sociaux. Le dynamisme de ces deux stratégies élargit l’échantillon de recherche, approfondit l’aperçu du consensus collectif, et assure que la démocratie participative soit accessible au plus grand nombre.
« Les citoyen·e·s ont le pouvoir politique de se réserver une place à la table de dessin »
Tant que sa métamorphose continue, l’urbanisation montréalaise sera de plus en plus marquée par une contribution civile. Les citoyen·ne·s ne sont certes pas les architectes principaux·ales, mais il·elle·s ont le pouvoir politique de se réserver une place à la table de dessin. L’approche montréalaise de l’urbanisme, se calquant sur l’esprit démocratique de Charles Taylor, assure un engagement civil actif par les expert·e·s du quotidien. Le résultat est un lieu matérialisant ces valeurs démocratiques dans les infrastructures physiques et sociales, qui soutiennent les fonctions de la métropole et se veulent un milieu de vie véritablement communautaire.