Avec l’arrivée des élections fédérales, certain·e·s pensent à troquer Justin Trudeau au profit d’Andrew Scheer. Au Canada, l’interruption volontaire de grossesse, aussi connue sous le nom d’avortement, a longtemps été un crime. Il y a à peine 30 ans, l’acte d’avorter était considéré comme criminel à moins que la vie de la femme enceinte ne fût en danger. Même si Scheer réitère qu’il ne soutient pas la réouverture du dossier du droit à l’avortement, les député·e·s conservateur·rice·s pourront déposer des projets de loi anti-avortement — Scheer ayant d’ailleurs déjà voté par le passé en faveur de tels projets.
C’est dans ce contexte politique particulier que la librairie féministe L’Euguélionne nous a ouvert ses portes vendredi dernier pour une table ronde sur l’écriture de l’interruption volontaire de grossesse.
Parole aux femmes
L’Euguélionne est une coopérative de solidarité à but non lucratif fondée en 2016 et se spécialise dans les ouvrages féministes, queer, lesbiens, gais, bisexuels, trans, intersexes, asexuels et agenres, two-spirit, anti-racistes, anti-coloniaux, etc. Après une reconnaissance des terres autochtones sur lesquelles nous nous trouvions, c’est tous et toutes collé·e·s et dans une ambiance des plus intimes qu’a débuté la soirée, avec comme animatrice Fanie Demeule, l’autrice de Déterrer les os. Afin de se plonger dans la thématique, l’événement donnait parole à Marie Demers et à Maude Bergeron, respectivement autrice des livres à succès In Between et Les désordres amoureux et celle que l’on connaît entre autres pour son projet d’illustrations Les folies passagères et pour son roman Pamplemousse. Les deux autrices ont livré des extraits de leurs romans inspirés de leurs vies respectives avec vulnérabilité et générosité. Elles ont toutes deux vécu l’expérience d’un avortement, mais en témoignent de façons complètement différentes. Y allant à coups de métaphores fruitées, poétiques et poignantes dans Pamplemousse ou en décrivant l’acte avec une violence touchante et empreinte de culpabilité dans Les désordres amoureux, ces deux écrivaines chamboulent le public avec leurs œuvres. Elles ont d’ailleurs vécu le processus d’écriture à l’opposé : Maude Bergeron écrivait davantage pour elle-même, alors que Marie Demers espérait de son côté être publiée. Par contre, elles ont toutes deux trouvé l’écriture très difficile. Elles ont échangé le micro pour raconter la manière dont elles ont vécu cette expérience traumatisante ainsi que la raison pour laquelle elles ont ressenti le besoin d’écrire, même si cela était difficile émotionnellement.
Une vraie épreuve
Le thème de l’interruption volontaire de grossesse est peu abordé dans la littérature, selon les autrices. L’écrire aura été pour elles un moyen d’avoir une prise de contrôle sur ce qu’il leur est arrivé et d’enfin permettre à d’autres femmes de se reconnaître dans ces récits. En effet, les deux autrices ont avoué avoir reçu de nombreux témoignages en lien avec les avortements, la santé mentale, les relations amoureuses toxiques et plus encore à la suite de leurs publications respectives. Elles se sont senties moins seules lorsque ces femmes leur avouaient se reconnaître dans leurs protagonistes.
Tout au long de la table ronde, elles ont aussi voulu démontrer que l’avortement ne doit pas être banalisé, notamment parce qu’il s’agit d’une décision qui peut s’avérer difficile pour de nombreuses femmes. Je pense que les hommes bénéficieraient de ces lectures, car les autrices ont su présenter des points de vue uniques sur une situation qui peut arriver à énormément de femmes. Le droit à l’interruption volontaire de grossesse est loin d’être un droit sécurisé à travers le monde et il ne faut pas laisser le Canada rétrograder. Cette table ronde m’a réellement ouvert les yeux sur cette épreuve qui demande une grande bravoure, contrairement à ce que certaines personnes peuvent penser. La table ronde terminée, je suis sortie de la librairie secouée d’admiration pour ces deux autrices et avec de nouveaux livres sous le bras.